20ème siècle

Ce chapitre est une ébauche. De nombreuses recherches sont en cours et viendront le compléter au fil des découvertes.

Toute reproduction, même partielle, est interdite sans l’autorisation des auteurs du site.

N’oublions pas de regarder les faits avec les yeux de l’époque où ils se sont produits, qui ne sont pas ceux de l’époque actuelle. La différence est grande entre les modes de vie et de pensée de nos aïeux au début du siècle et les nôtres aujourd’hui, même s’ils en sont issus.

Loi du 2 juillet 1901 sur les congrégations non autorisées

Après les bouleversements de l’époque révolutionnaire, un nouveau régime des cultes est instauré et un Concordat est signé le 15 juillet 1801 entre Napoléon et Pie VII : l’Etat protège et surveille les cultes reconnus « qui sont attachés au service public », c’est à dire les cultes catholique, protestant et israélite. Mais à partir de 1880, les liens entre l’Eglise et l’Etat commencent à se détériorer. Les républicains restent très marqués par leur lutte contre le second empire, au cours duquel les catholiques ont eu tout loisir et soutien pour développer l’enseignement.

Jules Ferry souhaite avant tout arracher des mains de l’Eglise, les écoles primaires du peuple où sont formés les citoyens. Il cherche donc à développer l’enseignement laïque et à revenir sur les lois Guizot et Falloux, qui ont permis aux congrégations religieuses et aux frères des écoles chrétiennes d’assurer l’enseignement dans près de la moitié des écoles primaires publiques et qui obligent l’instituteur, même s’il n’est pas un laïc, à enseigner aux enfants le catéchisme et à les conduire aux offices religieux. Mais pour laïciser l’enseignement, il faut le rendre obligatoire et surtout en assurer la gratuité pour ne pas écarter les enfants des pauvres. Ce sont les lois scolaires de 1881 et 1882.

A ces lois, s’ajoute une attaque directe contre les congrégations. Jusqu’alors elles devaient être autorisées par le gouvernement. Pourtant celles qui ne l’étaient pas étaient généralement tolérées. Jules Ferry fait prendre deux décrets le 29 mars 1880 qui exigent l’évacuation par les Jésuites de leurs établissements dans les trois mois et laissent le même délai aux congrégations non autorisées pour se mettre en règle. Ces décrets furent fermement appliqués et la dispersion de 5000 congréganistes souleva l’indignation des catholiques. A l’origine de cette action se trouve le mouvement mondial de laïcisation qui s’amplifie au 19e siècle partout où l’Eglise catholique avait autrefois joui de larges privilèges et exercé un pouvoir considérable.

Le conflit va s’accentuer après l’affaire Dreyfus et l’arrivée au pouvoir, en 1899, des radicaux. Les républicains étaient sortis vainqueurs de la crise causée par l’affaire Dreyfus et à leurs yeux, il convenait maintenant de faire payer aux vaincus les craintes qu’ils avaient provoquées dans les rangs républicains et ces vaincus étaient l’armée et l’Eglise. Waldeck-Rousseau concevait la punition de l’Eglise sous la forme d’une surveillance étroite des congrégations religieuses, mais non de leur suppression. Il fut rapidement dépassé.

D’abord par le parlement qui, en modifiant son projet, en fit la loi du 2 juillet 1901 selon laquelle aucune association religieuse ne peut se fonder sans être autorisée par une loi, aucun établissement nouveau d’une association existante ne peut être fondé sans un décret ; renouvelant ainsi le décret de 1880.

Et surtout par son successeur Emile Combes, ancien séminariste ayant perdu la foi et se comportant en fanatique, qui voyait partout intrigues et complots cléricaux. Il supprima par décret tous les établissements non autorisés des congrégations autorisées, puis interdit en 1904 à leurs membres d’enseigner. Ce paroxysme d’anticléricalisme suscita dans les régions de forte pratique religieuse, de vifs incidents.

Les répercussions de la loi de 1901 sur l’enseignement à Pussay

Cette politique a des conséquences désastreuses à Pussay, où il existe une école libre de filles dirigée par la congrégation des écoles chrétiennes de la Sainte-Enfance de Jésus, dont le siège est à Versailles. Les sœurs avaient fondé cet établissement en 1844. Sœur Germaine qui le dirige, y était arrivée en 1876 comme institutrice communale. Sœur Anna l’y avait précédée d’un an et sœur Martine dirige aujourd’hui l’ouvroir.

L’orphelinat construit en 1890 par Adolphe Brinon – La carte est datée de février 1904

La laïcisation de l’établissement est officialisée par une délibération du conseil municipal en date du 15 août 1887, avec approbation préfectorale du 24 septembre suivant. Le curé de l’époque exprime ainsi son sentiment : « L’école des filles, tenue depuis 40 ans par les sœurs de la Sainte-Enfance de Versailles, a été laïcisée par arrêt préfectoral et il n’a été accordé aux bonnes sœurs que 48 heures pour abandonner leur local et le céder aux institutrices laïques. Monsieur le maire de Pussay a fait trois oppositions successives à l’ouverture de l’école libre qui n’a pu ainsi s’ouvrir qu’au mois de mai 1888, le 22. A cause de ce si long espace de temps entre le renvoi des sœurs et l’ouverture de leur école libre, toutes les enfants forcées moralement étaient entrées à l’école laïque, de sorte que l’école libre chrétienne n’a commencé qu’avec 7 élèves. Espérons que le bon Dieu multipliera la bonne semence ».

Sœur Germaine avait sollicité une autorisation pour l’ouverture d’une école le 28 octobre 1887, auprès du maire de Pussay « Je soussignée Thérèse Monteil en religion sœur Germaine, religieuse de la congrégation de la Sainte-Enfance, née le 23 août 1832 à Bort (Corrèze) et actuellement domiciliée à Pussay (Seine-et-Oise) déclare à M le maire de Pussay (Seine-et-Oise) que mon intention est d’ouvrir une école privée de jeunes filles à Pussay dans un local de la propriété Dujoncquoy et Cie.
Je fais cette déclaration conformément à la loi du 30 octobre 1886 afin qu’elle puisse me servir ce que de raison pour la direction de l’école privée ci-dessus désignée.
Fait à Versailles en la maison mère de la congrégation rue des Bourdonnais, 3 le 22 octobre 1887
».

Le maire avait fait effectivement au moins deux oppositions, l’une le 3 novembre 1887, « considérant que contrairement aux règles de l’hygiène, les classes n’ont que 2,70 m d’élévation, qu’il n’y a pas de préau, que la cour de récréation est en plein nord, qu’il y a vue sur ladite cour et qu’enfin le plan présenté n’est pas en tout conforme au local » ; l’autre le 3 mars 1888, après avoir visité l’école le maire déclare « les classes sont bien conformes au plan, mais il y a des plâtres qui sont trop frais pour s’y installer, les cabinets d’aisance ne sont pas faits, pas plus que le mur de clôture qui doit séparer la cour d’avec les voisins. Si on construit ce mur, les classes étant ouvertes, il y aura danger pour les enfants en aménageant les matériaux. Je suis d’avis qu’il n’est pas possible d’y installer des classes avant que tout ne soit fini ».

L’école finit cependant par ouvrir en 1888 et au début du siècle, six religieuses s’en occupent ainsi que de l’orphelinat qui la jouxte. Elles ne sont toutefois pas au bout de leur peine puisque la loi de 1901 remet tout en question

Le 16 janvier 1902, le préfet s’adresse au sous-préfet d’Etampes pour obtenir des maires des communes concernées, avis et renseignements sur les congrégations existant dans son arrondissement : « La congrégation des écoles chrétiennes de la Sainte-Enfance dont le siège est à Versailles ayant formé une demande en vue d’obtenir l’autorisation prévue par les articles 13 et 18 de la loi du 1er juillet 1901, je vous prie de bien vouloir procéder à l’instruction de cette demande en ce qui concerne l’établissement situé à Pussay.
Vous voudrez bien en conséquence provoquer l’avis du conseil municipal de votre commune et m’adresser la délibération de cette assemblée avec un rapport très circonstancié sur l’origine et le rôle de l’établissement, sur les agissements de ses membres et sur les œuvres qui y sont poursuivies et le caractère d’utilité qu’elles peuvent présenter.
Ce rapport devra comprendre en outre tous les renseignements qu’il vous sera possible de vous procurer sur les membres de cet établissement et faire connaître s’ils ont attiré sur eux l’attention publique. Toutes indications sur la propriété des biens consacrés à l’établissement, valeur réelle et importance et nature des ressources destinées à assurer son fonctionnement et entretien
».

l’école des soeurs

Le sous-préfet transmet la lettre au maire de Pussay le 21 janvier. Le conseil municipal délibère le 3 février et, à l’unanimité moins deux abstentions et une voix contre, émet l’avis de maintenir l’établissement dans la commune. Dans sa réponse le maire précise en outre « Après la laïcisation, elles ont ouvert une école privée qui contient beaucoup d’enfants de sexe féminin de la commune au moins la moitié.
A la suite, elles ont établi un ouvroir qui reçoit des jeunes filles depuis leur bas âge jusqu’à 20 ans. On m’a dit que ces jeunes enfants sont orphelins ou appartiennent à des parents qui les délaissent par pauvreté ou inconduite.
Dans cet ouvroir qui est dirigé par la sœur Martine (née Robert Marie Marguerite) les enfants travaillent à la couture pour des confections. L’usine A. Brinon ses fils et Georges Gry manufacturiers de Pussay leur donne également de l’ouvrage. Elles sont au nombre de 24 c’est une œuvre très utile pour ces enfants.
Je ne connais rien de défavorable sur ces religieuses. Les immeubles où se tiennent l’école, les dortoirs et le réfectoire des sœurs et des enfants de l’ouvroir proviennent de l’ancienne propriété Dujoncquoy. Je ne peux dire si elles sont propriétaires ou locataires
[en marge il a été ajouté D’après les déclarations de la congrégation, l’immeuble appartiendrait à la société « la prévoyance versaillaise » ; il existerait un bail sous seing privé enregistré le 22 juin 1899].
L’immeuble qui fait suite aux précédents appartient à M Brinon père. On dit que M Brinon le met gratuitement à la disposition des sœurs
».

A la suite d’une demande de précision du sous-préfet, le maire ajoute, le 26 février 1902 « le traitement de 1500 F des sœurs a été porté dans cet état [le questionnaire du préfet] pour donner une dénomination commune aux dons faits à ladite congrégation depuis la laïcisation des écoles par diverses personnes particulières pour la plupart inconnues de cette congrégation lesquelles font ces dons pour aider spontanément de leur seul gré, les sœurs dans l’œuvre des écoles chrétiennes gratuites. Le traitement en question n’est donc pas assuré aux sœurs ».

Le 22 octobre 1902, le sous-préfet transmet le dossier au préfet pour obtention de l’autorisation. Après avoir repris l’exposé fait par le maire, il termine son rapport en disant : « Le conseil municipal dont la majorité est fermement républicaine a émis un avis favorable.
J’estime qu’il y a lieu de tenir compte de cet avis autorisé et pour ma part je n’ai pas de raison de ne pas m’y ranger
».

Un mois auparavant, le 6 septembre, le préfet avait reçu cette lettre étonnante qui éclaire sous un jour tout à fait particulier et riche d’enseignement les relations qui existent à l’époque entre les gens de Pussay, tout autant que leurs habitudes et l’atmosphère qui y règne.
«Les soussignés Alexandre Brosset, Alexandre Buisson et Alphée Perchereau, ces deux derniers à la suite d’une condamnation prononcée contre eux par le tribunal de simple police de Méréville pour avoir été pris à consommer dans un café innocemment et injustement le jour de la distribution des prix, ont l’honneur de vous prier d’accepter leur démission de conseillers municipaux de la commune de Pussay qu’ils vous offrent collectivement et solidairement. Ils vous affirment à cette occasion leurs sentiments de fermes républicains et qu’ils sont les seuls membres anticléricaux de l’assemblée municipale, les deux premiers pour s’être abstenu dans le vote pour le maintien des sœurs et le dernier pour avoir voté contre.
Depuis 30 ans la distribution des prix aux enfants des écoles laïques a lieu sous une tente dressée aux frais de la commune sur une place publique. C’est une vraie fête de famille célébrée par tous les habitants avec autant d’entrain que la fête patronale. Tous les débitants ont toujours eu sans distinction la permission de tenir leur établissement ouvert jusqu’à 2 h du matin et il y a toujours eu bal sous la tente toute la nuit. Toutes ces habitudes sont passées dans les mœurs de la population. Cette année encore, nous avons voté par esprit laïque et en signe de protestation contre la majorité réactionnaire du conseil une indemnité de 50 F à l’entrepreneur du bal M Boulommier qui est en même temps cafetier, aussi nous vous demandons, en le soumettant à votre appréciation et contrairement aux habitudes antérieures pourquoi cette année, sur 12 ou 13 débitants qui ont sollicité la permission de 2 h auprès du maire de Pussay et du sous-préfet d’Etampes, le sieur Boulommier a été seul autorisé
pourquoi les autres permissions sont-elles revenues de la sous-préfecture avec mention incomplètes et sans signature
pourquoi le maire a-t-il ordonné de les revêtir de la mention jusqu’à minuit sans signature pour induire les intéressés en erreur
pourquoi n’a-t-on pas donné connaissance aux administrés de cette modification aux habitudes par n’importe quel mode de publicité
pourquoi seulement 4 débitants et les consommateurs renfermés chez eux ont-ils été contrevenants puisque tous les cafés étaient encore ouverts après minuit
pourquoi tous les consommateurs de ces 4 établissements au nombre de 150 ou 180 parmi lesquels beaucoup de dames, de demoiselles et d’enfants n’ont-ils pas été tous pris en nom
autant d’irrégularité et d’illégalité que nous ne comprenons pas et qui reste inexplicable.
Nous blâmons énergiquement les procédés administratifs comme c’est notre droit au nom de la plus élémentaire justice, au nom du droit et du mot égalité écrit dans nos codes et sur nos monuments, au nom de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Respectueux des lois de notre pays en qualité de bons républicains, nous protestons hautement contre la contravention maladroite, inique qui nous frappe avec 35 ou 40 autres personnes comme nous victimes d’une partialité inqualifiable…
».

La fête sur la place du carouge

A réception de la lettre, le préfet demande des explications au sous-préfet, lequel dans sa réponse commence par minimiser l’importance de l’événement « à la suite d’un incident auquel ils donnent plus d’importance qu’il ne convient », puis il explique qu’à son arrivée dans l’arrondissement, il a constaté l’abus de demandes des cabaretiers pour obtenir l’ouverture de leurs établissements la nuit sans motif plausible et qu’il s’est efforcé de réagir contre ces abus et de faire appliquer l’arrêté préfectoral sur les horaires d’ouverture des cafés. Le maire de Pussay lui ayant transmis le 1er août dernier les demandes de tous les cabaretiers de la commune « il n’y en a pas moins de onze » écrit-il « l’occasion me parut singulièrement choisie mais comme je savais qu’un bal public aurait lieu le soir, sous une tente, j’accordai au débitant, entrepreneur du bal, l’autorisation de laisser son établissement ouvert jusqu’à 2 h du matin : en même temps, j’avisai le maire que les cabarets existant sur la place même du bal pourraient rester ouverts jusqu’à minuit dans l’intérêt du public, mais qu’il n’y avait pas de raisons d’étendre cette autorisation à tous les débits. Le maire a transgressé ou mal compris mes instructions… ». Le maire avait en fait autorisé tous les débits jusqu’à minuit.

La fête sur la place du carouge

En conclusion, le sous-préfet propose au préfet d’attendre avant d’accepter la démission des trois conseillers car il pense que le premier moment de mécontentement passé, ils ne persisteront pas dans leur projet de se retirer, ce qui se révéla exact.

Cet échange de lettres est révélateur des sentiments qui animent les uns et les autres à Pussay et aussi des mœurs, comportements et traditions de l’époque. L’une de ces traditions, c’est la distribution des prix qui sanctionne la fin de l’année scolaire, laquelle a alors lieu en août. Qui ne se souvient de ces beaux livres reliés, à la couverture cartonnée rouge et à la tranche dorée, sur la première page desquels une étiquette mentionne le nom de l’élève et le prix qui lui est décerné.

La distribution des prix est une coutume d’importance, comme l’est aussi la fête patronale. Elles montrent l’attachement des gens de l’époque aux réjouissances. Le contrat qui lie la maison Boulommier à la mairie prévoit trois bals : pour la fête de Pussay le premier dimanche de mai, pour le 14 juillet et pour la distribution des prix. Alors quand on travaille toute l’année, il ne faut pas les rater :
« Pussay, le 28/04/1904. Mon cher André, j’ai reçu ta dernière carte au lit, j’ai été grippé pendant six jours, mais maintenant, je suis complètement remis, pour la fête tu comprends ! Je t’écrirai une lettre après la fête … Bien à toi ». Indiscrète carte postale qui nous révèle que rien ni personne ne résiste à la fête. Elle a alors une vertu, celle de réunir tout le monde et tout le monde attend ce moment avec impatience, comme Angèle.

Place sur laquelle a lieu la fête et Angèle a écrit « A bientôt la fête chic »

Les lettres mettent aussi en lumière l’importance des cafés. Il n’y en a pas moins de 11, dit le sous-préfet et même plutôt 12 ou 13, disent les conseillers, voire plus. Le café est l’endroit privilégié où l’on se réunit pour discuter, l’indispensable point de rencontre où chacun colporte les nouvelles, mais aussi le lieu où la consommation effrénée d’alcool fait des ravages, ce qui entraîne les autorités à en limiter les heures d’ouverture. C’est encore le temps où les ouvriers boivent le petit verre d’absinthe, le matin, avant de partir travailler. Sa consommation inquiète les autorités qui veulent l’interdire. Le tabac aussi occasionne des dégâts et la tuberculose est sa conséquence. Beaucoup de demandes de secours adressées à la mairie concernent des admissions de personnes au sanatorium de Bligny.

Le café français

Enfin, et ce n’est pas le moindre intérêt, la première de ces lettres révèle l’opposition entre cléricaux et anticléricaux à Pussay, opposition qui va aller croissant au rythme même des décisions politiques qui vont être prises dans les années suivantes.

Ce n’est qu’en avril 1903 que le préfet transmet le dossier pour obtenir le maintien de l’école libre à Pussay. Il y ajoute la précision suivante, loin d’être négligeable « La commune de Pussay devra à brève échéance construire une nouvelle école de filles [dans le cas où l’autorisation ne serait pas accordée]. C’est une dépense d’au moins 40 000 F dont 20 000 F à couvrir par l’Etat qui devra créer de plus un emploi à sa charge.
Les charges restant à la commune seraient lourdes. En conséquence tout en émettant en principe en raison des sentiments d’hostilité qui ont guidé la fondation de l’école congréganiste, un avis plutôt défavorable, j’estime en raison de la situation financière et scolaire de la commune qu’il y a lieu de soumettre le dossier au Conseil d’Etat afin qu’il soit statué par lui sur cette question. Je donne au contraire un avis nettement favorable touchant l’orphelinat qui est une œuvre d’assistance et dont l’origine remonte à plus de 50 ans
».

L’origine de l’école remontait elle aussi à plus de 50 ans, puisque école et orphelinat avaient vu le jour en même temps en 1844. Mais le préfet, représentant de l’Etat, marque bien là la différence essentielle qui existe pour lui entre l’école, qui se doit d’être républicaine et laïque et l’orphelinat, qui lui peut rester une œuvre d’assistance à la charge de l’Eglise. Il livre par ailleurs d’une façon directe son sentiment sur la question en parlant des sentiments d’hostilité qui ont guidé la fondation de l’école. La date de 1844 coïncide avec le désir de Guizot de se concilier l’Eglise catholique en accordant la liberté de l’enseignement, liberté dont les sœurs ont certes profité, mais peut-on aller jusqu’à parler de sentiments d’hostilité ?

Il y a là en tout cas un premier aperçu des joutes à venir, car les 1er et 8 mai 1904 ont lieu les élections municipales. Le maire élu par le conseil municipal se nomme Adolphe Brinon. La personnalité de ce manufacturier, employant 500 ouvriers à Pussay et catholique fervent, va donner un ton nouveau au débat, d’autant plus que, dans le même temps, est votée la loi du 7 juillet supprimant l’enseignement congréganiste. Adolphe Brinon avait créé un nouveau bâtiment pour l’orphelinat en 1890 et il soutenait l’œuvre des sœurs en mettant gratuitement à leur disposition un bâtiment lui appartenant, convaincu qu’il était de son devoir, non seulement de fournir du travail à ses ouvriers, mais de leur procurer aussi soins, loisirs et de s’occuper de leur âme. Il est également persuadé que seule une éducation religieuse stricte peut remédier aux dérives qu’entraîne la promiscuité dans ces grands ateliers. Il ne diffère en rien des grands patrons de l’époque et applique les principes dictés par l’Eglise.

Ecoutons ce que nous en dit le curé en 1905 : « Il faut établir avec tristesse que les catéchismes sont à peu près nuls A) pour la première année comme présence et travail ; B) pour la première communion comme travail. Depuis longtemps, me dit-on,  et peut-être depuis toujours il en fut ainsi dans la paroisse. Les parents aspirant autant qu’ailleurs, sinon plus, à ce que les enfants soient « débarrassés » le plus tôt possible pour aller à l’usine. Et cette horrible et inconsciente phrase est le refrain répété depuis le premier catéchisme « Quand tu auras communié, tout sera fini. Tu auras fait tout ». Y a-t-il dix familles où cette insanité ne soit pas dite ? Comment préparer une persévérance avec de telles âmes ?
Une note sur la jeunesse doit être ici accentuée. Chez tous, elle est donnée d’un mot, je la confirme hélas avec la plus profonde tristesse et pour l’avenir moral et pour l’avenir religieux de la paroisse. A peu près toutes les mères admettent comme une nécessité, car elles y ont passé ! que dès 15 ou 16 ans, leurs filles aient et fréquentent leur « bon ami ». Elles disent cela avec une simplicité qui effraie. Les conséquences se devinent. A cette immoralité, les garçons joignent l’abus du tabac et la fréquentation des cabarets. Aussi la tuberculose est-elle la grande et hâtive faucheuse de ces existences usées avant d’être formée.
D’où à nouveau, comme conclusion, la nécessité impérieuse de former plus chrétiennement les filles à l’école libre et de fonder une école chrétienne pour les garçons où l’objectif premier soit de créer des foyers chrétiens.
Qu’il serait à souhaiter pour la moralité 1) que nul contact de travail n’existe entre hommes et femmes (à l’usine) 2) et que la surveillance des ateliers et des cabinets soit plus étroite !
».

Voilà qui est clairement exprimé, comme l’est l’opinion d’un commis boulanger venu travailler à Pussay, écrite au dos d’une carte postale : « Je vous envoie une vue de mon nouveau pays. J’ai reçu hier une carte de Jeanne. Ils vont tous très bien. Pussay, c’est très gai, il y a 3 fabriques de chaussons et les filles sont comme leurs chaussons ».

La préoccupation du curé rejoint tout à fait celle du sous-préfet. Ils constatent et déplorent tous deux les mêmes faits. Ils sont même d’accord pour penser que l’école est le moyen d’y remédier. Ils s’opposent simplement sur l’idéologie à proposer car là, deux conceptions s’affrontent : la religion et la laïcité.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat et ses conséquences

Dans les années 1905, une opposition radicale-socialiste se structure et se manifeste à Pussay. (Pour plus de détail sur la personnalité d’Adolphe Brinon et cette opposition radicale-socialiste, voir l’article « Travail de la laine », « Usine A. Brinon Fils »). Son action se trouve renforcée lorsque la direction de l’usine congédie un certain nombre d’ouvriers originaires de la Corrèze par manque de travail, alors que le « comité de propagande et de défense républicaines de Pussay » créé en 1905 soutient qu’ils n’ont pas été congédiés par manque de travail, mais parce qu’ils ont refusé de signer une pétition contre la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Le sous-préfet, rendant compte au préfet, précise même que d’autres habitants de la commune sont l’objet de tentatives de pression violente ou plus généralement insidieuse de la part du père et des fils Brinon pour vivre dans l’esprit et les règles religieuses et ce depuis la laïcisation des écoles. Et il poursuit : « Les affaires de Pussay, insignifiantes au point de vue local, portent en elles des conséquences plus hautes et plus graves au point de vue de la politique générale de l’arrondissement. Quelques communes, comme Lardy, par exemple, ont de grandes analogies avec Pussay, où M Brinon, maire, est l’électeur, le correspondant consulté et écouté du député de la circonscription. Indirectement, ses recommandations, parfaitement honorables, j’en conviens, ne vous transmettent pas moins des avis, dont vous ignorez la source et qui émanent en somme d’hommes du tempérament et de la valeur politique de MM Brinon… Dans l’occurrence, je deviens malgré moi, l’auxiliaire parfois humilié de ces personnages dont l’intolérance religieuse, la passion, la fausseté et les opinions réelles demeurent inacceptables et ne méritent que le combat ».

Ces dissensions ne sont que le reflet de celles qui agitent la nation. Emile Combes avait poussé si loin sa politique anticléricale que la dénonciation du Concordat n’était plus suffisante pour apaiser les esprits. C’est une séparation complète de l’Eglise et de l’Etat que souhaite maintenant le bloc des gauches. La loi de séparation du 9 décembre 1905, préparée par le rapporteur Aristide Briand, règle le problème d’une façon équitable ; elle est votée comme une loi d’apaisement ; mais son application se heurte à l’incompréhension du pape Pie X d’une part, aux violences anticléricales de l’autre.

La question de la propriété des biens ecclésiastiques divise les Français aussi profondément que l’avait fait l’affaire Dreyfus. La mesquine procédure des inventaires provoque une nouvelle explosion de violence : les fonctionnaires qui en sont chargés se heurtent dans plusieurs régions, à la résistance organisée des catholiques. L’emploi de la force publique aggrave les conflits et l’on frôle la guerre civile.

Loin de vivre cette extrémité, Pussay traverse cependant une période troublée. Le 15 mars 1906 à 13 heures, le percepteur des contributions directes de Méréville chargé de procéder à l’inventaire des biens détenus par la fabrique paroissiale, se présente à la porte de l’église qu’il trouve fermée ; cependant que le tocsin sonne. Voici un extrait du rapport qu’il adresse à ses supérieurs :
« A notre arrivée à Pussay, le tocsin sonnait. A 9 heures très précises, nous nous présentons à la porte de l’église accompagné du garde-champêtre. Ayant trouvé cette porte fermée nous avons prié le garde-champêtre de frapper, ce qu’il a fait à 2 ou 3 reprises. De l’intérieur une voix a demandé « Qui est là ? ». Nous avons répondu « l’agent des domaines chargé des opérations de l’inventaire ». La voix « Comment vous appelez-vous ? ». « Et vous-même ? » répondons-nous. La voix « Monsieur le curé de Pussay » et nous « Monsieur Duquesne percepteur des contributions directes à Méréville, agent auxiliaire des domaines ». La voix « Nous ne pouvons vous ouvrir, la Loi ne vous ayant pas désigné pour cette opération ». A quoi nous faisons savoir que nous sommes dûment commissionné. La voix « C’est inutile d’insister, nous ne vous ouvrirons pas ». Alors ajoutons-nous « nous allons nous présenter à la porte de la sacristie pour vous exhiber notre commission et vous donner des explications ». La voix « Elle ne vous sera pas ouverte non plus ». « Eh bien ! au revoir Monsieur ! ».
Le percepteur télégraphie du bureau de poste au préfet et au trésorier général de Seine-et-Oise pour les aviser de la situation, puis il se rend chez le maire, lequel lui répond qu’il est empêché de l’assister par ses affaires.

Un peu plus tard cependant, au moment où il va quitter le pays, le maire lui fait savoir qu’il a fait le nécessaire auprès du curé pour que l’inventaire ait lieu. Le percepteur retourne donc à la porte de l’église qu’il trouve toujours fermée, il frappe et le curé lui répond « cette fois nous cédons à la force ». Le percepteur pénètre dans l’église et là, devant une assistance nombreuse et les membres de la fabrique réunis au banc d’œuvre, le curé, Paul Poirier, lit la protestation suivante :
« Monsieur, vous venez faire l’inventaire des biens appartenant à l’église Saint-Vincent de Pussay en vue d’en préparer la dévolution à une association cultuelle ainsi que le prétend l’article 4 de la loi de séparation. Cette loi, notre père dans la foi, sa sainteté Pie X glorieusement régnant, vient de la condamner solennellement comme violant le droit naturel, le droit des gens et la fidélité publique due au traité ; comme contraire à la constitution divine de l’église, à ses droits essentiels et à sa liberté ; comme renversant la justice et foulant aux pieds les droits de propriété que l’Eglise a acquis à des titres multiples et en outre en vertu du concordat. Fidèle écho de cette majestueuse parole, représentant officiel en cette paroisse de l’église catholique, j’ai le devoir de protester contre une mesure qui n’est que le prélude trop certain d’une injustifiable spoliation, j’ai le devoir aussi de m’y opposer dans la mesure que me permettent et ma dignité et mon titre sacré de prêtre de Jésus-Christ car ces biens sont saints par la volonté pieuse qui les a donnés à notre église et par l’usage auquel ils sont destinés ; l’Etat n’a donc pas le droit d’y toucher.
A ma protestation joignent la leur Messieurs les membres de la fabrique Saint-Vincent choisis par l’autorité ecclésiastique pour assister le prêtre dans la gestion des intérêts sacrés dont il a la charge. En notre nom donc et au nom des généreux bienfaiteurs de cette église qui leur doit, non seulement sa construction, mais encore tous ses embellissements et son ameublement, nous faisons toutes et les plus expresses réserves que de droit, gardant pour l’avenir l’inaliénable pouvoir de revendiquer par quelque moyen que ce soit ce que leur pieuse libéralité n’a offert à leur paroisse et mis à sa disposition que pour un usage saint et conforme à leurs sentiments religieux.
Quant à vous accompagner Monsieur, je ne le pourrais qu’à titre de guide, de témoin ou de surveillant. Ma conscience et ma dignité m’interdisent l’un ou l’autre rôle.
Je vous déclare donc que ma volonté bien arrêtée est de ne prendre aucune part à votre œuvre et de rester en prières au milieu de mes chers paroissiens venus pour protester avec nous contre un acte que réprouve et condamne notre conscience de prêtre, de catholique et de français
».

Puis toute l’assistance entre en prière pendant que le percepteur procède à l’inventaire des meubles, chasubles, soutanes, costumes d’enfant de chœur, missels, candélabres, bannières, linge pour la messe, objets servant aux cérémonies mortuaires, ostensoir, calice, ciboire, jusqu’aux vases et fleurs artificielles, harmonium, bancs, bénitiers, lustres, statues, chandeliers, tout y passe et pendant tout le temps des opérations, le tocsin sonne, le prêtre et les fidèles chantent des cantiques et des psaumes. Le même jour, le même percepteur, en présence des mêmes personnes procède à l’inventaire de la mense curiale.

Neuf mois plus tard, le 23 décembre, le garde champêtre remet au curé un arrêté du préfet en date du 13 décembre, plaçant sous séquestre les biens de toute nature ayant appartenu à l’église de Pussay. Le curé refuse de signer le procès-verbal et de recevoir les arrêtés de mise sous séquestre. Le garde champêtre renouvelle l’opération auprès du trésorier du conseil de fabrique qui refuse de même, puis auprès du président du bureau des marguilliers sans plus de succès. Le président du conseil de fabrique ne signe pas plus le procès-verbal ni ne reçoit les arrêtés de mise sous séquestre des propriétés foncières de Monnerville et Chalou-Moulineux ainsi que des rentes sur l’Etat que des donateurs avaient léguées à la fabrique.

Adolphe Brinon explique cette attitude dans une lettre qu’il adresse le 18 octobre au préfet : « J’ai l’honneur de vous retourner les feuilles qui m’ont été adressées, comme Maire, relativement au séquestre des biens de l’Eglise de Pussay.
Je ne puis, M le Préfet, à 76 ans, désavouer toutes les convictions de ma vie.
Ma conscience de Catholique et de Français, mes idées sur la vertu des conventions et les droits inviolables de la propriété ne me permettent pas de m’associer en quoi que ce soit aux mesures pratiquées en ce moment contre l’Eglise de France.
C’est pourquoi, M le Préfet, après vous avoir rendu compte de mes sentiments, je me vois obligé de vous remettre ma démission de Maire de la Commune de Pussay dont je reste conseiller municipal. Il m’est pénible de laisser inachevées des entreprises que j’espérais sans cela pouvoir terminer avec la bienveillance et l’appui que vous avez bien voulu me témoigner et dont je vous remercie sincèrement
… ».

Sollicité par le préfet, le sous-préfet n’hésite pas à dire que : « …Les termes mêmes de cette démission ne laissent aucun doute sur les sentiments réels de M Brinon, si toutefois il pouvait y avoir doute sur ce point ; j’ai déjà eu d’ailleurs l’occasion de vous représenter M Brinon pour ce qu’il est réellement c’est à dire profondément réactionnaire et très clérical. Il vient d’en donner une preuve nouvelle en refusant de notifier les arrêtés de séquestre… ». Il suggère donc au préfet d’accepter sa démission dans les plus brefs délais ce que celui-ci s’empresse de faire. Le 8 janvier 1907 Adolphe Brinon sera réélu maire.

Le climat est extrêmement tendu. Les catholiques français sont profondément irrités par la séparation. Ils y voient d’abord une insulte délibérée au Vatican et ensuite un moyen inventé par les ennemis de l’Eglise pour annihiler son influence et tarir son recrutement. Les violences anticléricales ne sont pas faites non plus pour apaiser les tensions. Mais en l’occurrence, à Pussay, il y a un homme qui a fondé sa vie même sur sa foi et qui ne veut et ne peut renier sa croyance. Il a face à lui un sous-préfet qui a fait siens les idéaux socialistes. Chacun pense œuvrer pour un combat juste et légitime et défend une idéologie, assise même de son existence. Les mots se durcissent et la lutte ne peut que s’intensifier.

Le 27 novembre 1910, Adolphe Brinon rappelle au préfet que « …depuis le 19 octobre 1906, j’ai à plusieurs reprises hautement déclaré que ma volonté formelle était de me tenir à l’écart de toutes les mesures pratiquées en ce moment contre l’église de France, refusant de m’associer à toutes les mesures de séquestre ou dévolution dont j’ai refusé les feuilles.
J’ai l’honneur de rappeler mes correspondances à votre souvenir d’aujourd’hui que les choses deviennent pressantes il est un devoir pour moi de vous dire quelles sont mes résolutions présentes en voyant que le mot dévolution conduit à la spoliation.
C’est pourquoi, M le préfet, j’ai l’honneur de vous retourner ci-inclus le décret de la dévolution des biens de l’église de Pussay à laquelle je refuse de prendre part.
Cela résulte, M le préfet, de mes convictions et de ma volonté personnelle
… ».

Il vient effectivement de recevoir un décret en date du 26 octobre 1910 attribuant au bureau de bienfaisance de Pussay les rentes et les biens ayant appartenu à la fabrique. Il refuse bien sûr toujours de donner sa signature à cet acte contraire à toutes ses convictions, mais si pour lui aujourd’hui les choses deviennent pressantes, c’est que cet homme de 79 ans sait qu’il est au seuil de la mort.

A la suite de cette lettre, le sous-préfet demande le 1er décembre au préfet « qu’une sanction intervienne à l’égard de ce magistrat municipal dont vous connaissez l’attitude agressive et qui, non content de refuser l’application de la loi, la qualifie par surcroît de mesure de spoliation ».

Le 4 janvier 1911 le préfet rappelle au sous-préfet qu’« aucun arrêté de suspension d’un maire ou d’un adjoint ne peut être pris avant que l’intéressé ait été entendu ou invité à fournir des explications écrites sur les faits qui lui sont reprochés. Dans ces conditions, je vous prie d’assurer l’accomplissement de cette formalité et d’entendre M le maire de Pussay ou de l’inviter en mon nom à fournir des explications écrites ». Le sous-préfet s’exécute mais apprend alors qu’Adolphe Brinon est gravement malade et que les médecins le considèrent comme perdu. Le 21 janvier il écrit « dans ces conditions et autant par mesure humanitaire que pour éviter les commentaires défavorables, je n’hésite pas M le préfet si tel est votre avis à revenir sur la demande de sanction… ».

Les événements se déroulent inexorablement et bientôt le maire voit arriver une mise en demeure : « de se trouver le lundi 30 janvier 1911 au bureau du receveur à Méréville pour dresser procès verbal de remise des biens au bureau de bienfaisance ».  Le 30 janvier en présence de M Huteau adjoint agissant comme président de la commission administrative du bureau de bienfaisance de Pussay, les rentes et immeubles de la fabrique sont donnés au bureau de bienfaisance.

Les retombées sur la construction de l’école publique de filles

Pendant ce temps, la surveillance des écoles congréganistes s’est poursuivie. Le 27 août 1906, le sous-préfet avait souhaité connaître les changements opérés depuis les lois de 1901 et 1904. Adolphe Brinon avait répondu : « les choses n’ont pas été modifiées depuis lors. La commune n’étant pas en mesure de recevoir les 140 enfants environ qui sont dans cette école libre. L’ancien conseil a pris à la date du 8 février 1904 une délibération demandant un délai de 5 ans c’est à dire jusqu’en 1909 pour créer de nouvelles classes en état de recevoir les enfants.
La municipalité actuelle avait étudié avec le plus grand soin, vous le savez, Monsieur le sous-préfet, un projet de constructions qui présentait les meilleures conditions. Ce projet étant refusé, quelles en seront les conséquences et à qui les responsabilités ?
… ».  Le sous-préfet n’était pas tendre avec Adolphe Brinon, mais ce dernier savait aussi lui répondre.

Le projet en question avait été initié au mois de mars 1906. Les choses n’avaient donc pas réellement bougé depuis avril 1903 où il avait pourtant été reconnu que la commune n’échapperait pas à la construction d’une nouvelle école. Cependant, la municipalité avait toujours ajourné cette dépense, arguant de la situation obérée dans laquelle elle se trouvait suite aux nombreux emprunts auxquels elle avait dû recourir, en particulier pour l’installation de l’école maternelle. Elle se trouvait maintenant contrainte d’y faire face.

Des contacts avaient été pris avec la compagnie des constructions démontables et hygiéniques à Paris pour la construction d’une école de 5 classes pour 50 élèves, d’un pavillon pour la directrice, d’un préau et de latrines. Le coût s’élevait à 40 000 F. Le 21 mai 1906, le sous-préfet avait émis des réserves sur ce type de construction et le 26 juillet le préfet avait signifié l’avis défavorable de la commission des bâtiments civils, avis qui n’était cependant pas motivé. Adolphe Brinon avait donc beau jeu de rappeler au préfet ses responsabilités et de profiter du temps qui passait.

Le sous-préfet ne désarme pas. Le 27 octobre 1906 il attaque sur un autre plan et alerte de lui-même le préfet sur la présence d’emblèmes religieux dans les écoles publiques laïques et donc en particulier à l’école publique laïque de filles de Pussay. Il réitérera l’alerte le 11 mars 1907 en insistant notamment sur l’école publique de Pussay. Il y a tout lieu de penser qu’il tient ses informations du comité de propagande et de défense républicaines de Pussay, car ce dernier ne reste pas inactif. Dès le 2 novembre 1906, Alphée Perchereau, son président, adresse au président du comité radical-socialiste de Seine-et-Oise une lettre incisive et amère dans laquelle il exprime les sentiments d’un homme ulcéré de voir bafouer ses idéaux :

« Mon cher Président, plus je vieillis et plus je médite, plus j’observe et plus j’approfondis tout ce qui se passe autour de moi, au sein de cette intéressante population républicaine de Pussay et plus je considère que la réaction règne encore en souveraine maîtresse, comme aux plus beaux jours de la monarchie, dans ce modeste bourg si profondément et si sincèrement attaché au régime républicain duquel il est en droit d’attendre la garantie de ses libertés publiques et individuelles.
Aussi, mon cher Président, je vous demande pardon, si, entièrement confiant dans votre inlassable dévouement et dans votre intervention efficaces, je prends la liberté de vous charger de vouloir bien, en vous adressant auprès de qui de droit faire obtenir à tous mes concitoyens légitime satisfaction sur les quelques points que je prends soin de vous exposer ci-après.
D’abord, nous sommes à Pussay 500 républicains convaincus sur 650 électeurs ; mais plus de 250, par crainte du patronat industriel, par suite de l’oppression et de l’intimidation exercées sur eux, n’osent manifester leur opinion, ni même voter librement : c’est ce qui explique pourquoi de républicaine qu’elle était, notre municipalité est devenue, au mois de mai 1904, réactionnaire et cléricale et pourquoi aussi le clérical Brinon, le plus accompli et le plus militant jésuite de la région est devenu Maire.
Arrivée au pouvoir par surprise et par fraude, cette municipalité s’applique sans aucun répit – et cela durera toujours – à tracasser les républicains, à les traiter avec mépris et injustice ; les actes et les projets émanant de son administration sont de tous points contraires aux intérêts de la majorité de la population et par contre tout à fait favorables à la coterie brinonniste.
Ce Maire, d’opinion antirépublicaine exaltée, de plus, autoritaire et despote, s’en va partout affichant un républicanisme sincère ; je crains même que dans les hautes sphères administratives et politiques, il ne soit cru et apprécié : en effet, n’a-t-il pas été des premiers à congratuler M le sous-préfet d’Etampes lors de son entrée en fonction ? N’a-t-il pas adressé une délibération de bienvenue à M le préfet Audrand à peine installé à Versailles ? C’est pourquoi j’estime qu’il y a intérêt et urgence à dévoiler ces hypocrisies intéressées. Maintenant, jugeons-le à l’œuvre.
Tout d’abord, il insiste auprès de l’administration préfectorale et de l’inspection académique de Seine-et-Oise pour installer, dans l’ancienne école des garçons, un asile réclamé avec instance, depuis 10 ans, par la population. Il ne recule pas devant une dépense de 6000 F pour approprier des locaux insuffisants et ne remplissant aucune des conditions exigées par l’hygiène scolaire, puisque deux fois déjà ils avaient été refusés comme impropres à une installation de ce genre, et, pour réussir dans ce projet caressé, il profite d’une absence, pour congé, de M le sous-préfet Lambert-Rocher qui y est opposé, pour, avec l’appui du député, M Amodru, obtenir l’autorisation sollicitée des pouvoirs compétents.
Cet asile est ouvert depuis un an, il est fréquenté par 80 à 85 enfants, mais des garçons seulement, chose surprenante, de sorte qu’aucun père de famille républicain, et ne travaillant pas à l’usine Brinon, ne peut y mettre ses filles ou bien s’il veut, pour des raisons majeures qu’elles ne soient pas abandonnées pendant que lui et sa femme sont à l’atelier, il doit les mettre à l’école des sœurs qui reçoivent ainsi plus de 50 fillettes au-dessous de 6 ans sans y être autorisées, ne disposant pas des locaux nécessaires et n’ayant pas fait la déclaration prescrite par la loi pour ouverture d’un asile.
Autant de faits dont l’administration supérieure est ignorante, j’aime à le croire, parce que cachées, mais qui ne devraient pas se produire sous un gouvernement républicain, attendu que leur réalisation produit le mécontentement général.
En outre, depuis 1896, la commune possède une propriété de 22 ares avec maison, dans laquelle elle est en instance de construire une école de filles avec un asile pour les 2 sexes ; mais le Maire ne fait aucunement diligence pour hâter la construction de cet établissement, au contraire, son but étant tout autre : il espère ainsi pouvoir retarder le plus possible la fermeture de son école de sœurs, je dis son école, parce qu’il en est le pourvoyeur par pression et le plus ferme soutien.
Pour retarder l’édification de la dite école, il ne cesse de dresser devant les yeux des contribuables et de ses 15 acolytes du conseil, dont pas un seul n’a d’enfant, l’énormité de la dépense. Par contre, il n’a cessé, en faisant miroiter à la vue de ses amis l’urgence extrême d’un service des eaux, d’accorder la préférence à ce projet, ce qui est compréhensible, étant donnée sa qualité de gros industriel prévoyant, faisant grande consommation d’eau dans son usine, aussi, il ne recule pas devant la respectable dépense de 100 000 F. et à ce sujet, pour éclairer votre religion, et vous édifier sur l’état d’esprit de M le maire, je dois vous déclarer que le forage du puits, devant fournir l’eau pour la canalisation, doit commencer prochainement bien que n’ayant pas encore obtenu l’autorisation de l’administration supérieure, qui n’a pas encore statué sur le projet ni sur l’emprunt dont l’importance n’échappe à personne.
Maintenant, ce qui jette un jour tout à fait caractéristique sur le républicanisme sincère de ce magistrat, c’est qu’il ne cesse, depuis son arrivée à la direction des affaires municipales, de tracasser et de persécuter le personnel enseignant laïque de la commune contre lequel il n’a aucun motif de plainte ; et, pour combler la mesure, au mois de mai 1906, sans crainte de porter un défi à l’administration préfectorale si elle n’adoptait pas ses projets les plus chers soumis à son approbation, il fit voter par son Conseil la suppression des suppléments de traitement accordés jusqu’ici aux Instituteurs et aux Institutrices, pour ce faire, il employa encore un moyen détourné et d’autres crédits relatifs à l’instruction primaire.
Enfin, malgré les récentes instructions ministérielles, il ne se décide pas à enlever les crucifix qui ornent les classes de l’école de filles, bravant ainsi et l’autorité du ministre et l’opinion publique et insultant aux Croyances des familles républicaines.
En résumé, Monsieur le Président, voici ce que nous demanderions avec insistance, dans un but de légitime satisfaction, sans parti pris comme sans restriction, avec la plus entière conviction animant de bons républicains et des hommes conscients de leur état d’êtres libres.
1° la fermeture, au plus tôt, de l’école des sœurs, et, dès maintenant, de l’asile ouvert illicitement dans cette école.
2° la construction immédiate de l’école de filles et de l’asile pour les enfants des deux sexes avant l’installation du service des eaux.
3° la désaffectation de l’asile actuel destiné seulement aux petits garçons.
4° l’enlèvement des crucifix à l’école des filles.
5° le rétablissement en tout ou en partie, si possible, des suppléments de traitement aux Instituteurs et Institutrices.
Veuillez croire, mon cher Président, à mes plus sincères sentiments de vive sympathie.
Le Président du Comité radical socialiste de Pussay, A Perchereau
».

N’oublions pas le climat de l’époque. L’attitude intransigeante d’Emile Combes avait suscité et entretenu des réactions extrêmes. Une fois enclenchées, elles devenaient difficiles à arrêter et à maîtriser. Les radicaux-socialistes n’avaient de leur côté pas encore complètement échappé à leur vision de la monarchie et assimilait le patronat industriel au seigneur de l’ancien régime. Certains d’entre eux ne supportaient pas ce patron tout puissant ayant tant de pouvoir et de prise sur eux et en éprouvait une haine farouche. Il est probable aussi que la différence de mode de vie entre patrons et ouvriers n’y était pas étrangère.

Ecole maternelle – carte postée le 9 février 1909

Le 29 novembre, après avoir vu Alphée Perchereau, le sous-préfet est obligé de reconnaître que l’école libre ne peut être fermée tant que la commune ne dispose pas de locaux suffisants pour recevoir toutes les filles de 6 à 13 ans. L’école publique de filles est déjà très exiguë pour les 74 enfants qu’elle reçoit dans deux salles d’une superficie totale de 64 m² et elle serait absolument insuffisante si l’école congréganiste privée qui reçoit 100 élèves venait à disparaître. Il doit admettre également que l’école a le droit d’ouvrir un asile pour les petites filles de 4 à 6 ans et qu’elle est tout à fait en règle sur ce point. Ce qui importe à ses yeux pour le moment c’est d’activer la construction d’une école publique de filles. Ainsi, la disparition de l’école des sœurs entraînera forcément la commune à aménager une école maternelle suffisamment spacieuse pour recevoir tous les enfants, garçons et filles, de 2 à 6 ans. Mais il se rend à l’évidence qu’il n’est pas possible d’imposer d’office à la commune la construction d’une école maternelle. L’asile ou école maternelle pour les petits garçons n’a été autorisé qu’à titre provisoire et pour tirer de la rue une soixantaine de garçons qui ne pouvait être reçus nulle part, faute de place.

En fait, beaucoup de bruit pour rien, mais les passions sont exacerbées et dans ce climat tendu, la raison vacille. D’autres échanges de ce type auront lieu tout au long de l’année 1907, puisque aucune des parties en présence ne cède et que chacun utilise les armes à sa disposition au service de son idéal. Alphée Perchereau fait pression sur le préfet pour donner la priorité au projet de construction de l’école sur celui de l’adduction d’eau. Pourtant ce dernier était bien utile aussi. Adolphe Brinon de son côté retarde au maximum le projet de l’école laïque persuadé que seule l’école libre peut former utilement les enfants.

Soulignons ici que le cas de Pussay n’est pas isolé dans la région et que les communes où existent des établissements religieux, comme Châlo-Saint-Mars, La Ferté-Alais, Itteville, Auvers-Saint-Georges, Méréville, Milly, vivent ces mêmes événements.

L’enlèvement des emblèmes religieux est surtout sensible et le préfet souhaite, dans une lettre qu’il adresse le 30 juillet 1907 aux communes « … éviter tout scandale et toute agitation et assurer ainsi le succès des opérations projetées. Vous voudrez bien me faire connaître notamment si l’enlèvement de ces emblèmes vous semblerait présenter quelques difficultés et les mesures que vous proposez de prendre pour parvenir à la suppression de tout ce qui peut donner ou faire conserver aux écoles un caractère confessionnel… ».

Le 24 août Adolphe Brinon répond au sous-préfet « … naturellement et fidèle à la conduite que j’ai adoptée je n’ai pas voulu prendre part à cette opération que ma conscience désapprouve. Les ordres de M le préfet ont été communiqués à Mlles les institutrices par le secrétaire de mairie. Ils ont été exécutés de suite, j’en ai été avisé à mon retour d’un voyage. Les objets sont déposés à la mairie. A la première réunion du conseil je demanderai à la municipalité la destination qui leur sera appliquée… ».

Le problème des emblèmes religieux est réglé, mais l’école libre existe toujours et le préfet commence à s’impatienter. Il rappelle le 14 décembre à la commune le refus du ministre et l’invite à présenter un autre projet et que faute de ce projet d’ici le 31 décembre, le préfet poursuivra la procédure d’office. La commune se met donc en rapport avec l’architecte d’arrondissement pour étudier un nouveau projet. L’architecte présente ses plans et devis en février 1908, la commune l’adopte, la subvention arrive en mars 1909 et la construction peut commencer.

Le 2 avril 1909 la fermeture de l’école libre est demandée par le préfet et le 10 juillet, par arrêté du ministre de l’intérieur, l’établissement est supprimé.  Le 22 juillet, le garde champêtre de Pussay se présente à la supérieure de l’école pour lui notifier l’arrêté sur la fermeture de l’école au 1er septembre 1909. Le 16 septembre, deux gendarmes à cheval d’Angerville, agissant en vertu d’une lettre émanant de M le sous-préfet d’Etampes en date du 13 septembre et aux fins de vérifier si cet établissement est bien fermé, se rendent à Pussay et constatent que l’établissement est inhabité et qu’il ne reste à l’intérieur aucun mobilier pouvant servir à la partie scolaire, les sœurs étant parties depuis un mois pour Versailles.

La rentrée scolaire de 1909 est quelque peu perturbée puisque la construction de la nouvelle école n’est pas achevée, que l’école publique est trop petite pour accueillir tout le monde et qu’une demande d’ouverture d’école libre est en instance. Successivement, plusieurs institutrices déclarent leur « intention d’ouvrir une école primaire privée payante qui sera établie dans le local appartenant à la société « La Prévoyance Versaillaise » place du jeu de paume avec annexion d’une classe enfantine » : Rosine Petit le 8 septembre, Marie-Louise Lepaître le 12 octobre, Louise Trouvé le 28 octobre et enfin Marthe Raté le 6 décembre. Finalement, Louise Trouvé est retenue. Sa demande officielle est déposée le 2 novembre, ce qui reporte l’ouverture au 3 décembre.

Il est probable qu’en attendant l’ouverture officielle, Louise exerce son métier et qu’une plainte soit déposée. Toujours est-il que le bulletin paroissial fait paraître cet article sous le titre « Protestation » : « A la suite de l’enquête ridicule faite par les gendarmes chez quelques enfants (des humbles, des ouvriers ; ils n’ont pas été chez ceux qui les auraient, à bon droit, mis à la porte), tous les pères de famille réunis ont voté cette protestation au Procureur de la république d’Etampes, et ceux qui avaient été visités par les gendarmes l’ont signée.
« Pussay, le 13 novembre 1909
Monsieur le Procureur,
Nous soussignés, pères et mères de famille de Pussay, venons protester auprès de vous, au sujet de la manière dont les gendarmes d’Angerville sont venus interroger nos enfants, le jeudi 11 courant. Nous affirmons qu’à la Garderie, où nous les avons envoyées, en attendant l’ouverture de l’école libre, aucune des matières contenues dans les programmes scolaires, ne leur ont été enseignées : nous savions bien que cela était dans la loi : nous avons respecté la loi. Mais il n’était pas nécessaire que les gendarmes vinssent terroriser nos fillettes ; plusieurs d’entre elles sont malades de l’émotion qu’elles ont eue,
… ».

Le 18 décembre, l’abbé Mainfroy comparait au tribunal pour avoir ouvert illégalement une école privée avec l’aide d’une institutrice qui donne des cours privés chez elle en attendant l’ouverture réelle de l’école le 3 décembre. Tout finit par rentrer dans l’ordre et l’abbé Mainfroy continue à s’occuper de l’église, de l’école, du patronage et du théâtre.

La surveillance des écoles libres se poursuit et des enquêtes discrètes mais approfondies contrôlent que des établissements congréganistes ne se reconstituent pas. Le procureur de la république d’Etampes demande par exemple au sous-préfet, si la demoiselle Chapuis Louise, ancienne congréganiste qui a fait récemment une déclaration d’ouverture d’école primaire privée à Pussay, ne commettrait pas en la circonstance une infraction à la loi du 2 juillet 1901. Ces enquêtes dureront jusqu’en 1913. Au cours de l’une d’entre elles, relatives à un établissement d’Etampes, le préfet parlera du cléricalisme qui règne presque en maître dans l’arrondissement et il se posera la question de savoir s’il donne à ces établissements une certaine autorité. Il est permis de le supposer conclura-t-il.

Impressions des années qui précèdent la guerre

L’Abeille d’Etampes nous relate le 25 mars 1911 le raid hippique des officiers de réserve et de territoriale. « Le 22 mars avait été organisée une épreuve sur une course de 500 km, fournis – avec un seul jour de repos – par des officiers jeunes ou retraités, tous rentrés dans leurs foyers où les attache le tracas des affaires ; sur des chevaux réquisitionnés comme ils le seraient à l’appel d’une déclaration de guerre, chevaux que leurs cavaliers pour la plupart ne connaissaient pas, cette épreuve aura été d’une utile indication et le résultat en est digne d’éloge. Les cavaliers des secteurs nord et est venaient de Fontainebleau, ceux des secteurs sud et ouest de Chartres et d’Orléans, ils se regroupaient tous à Etampes pour la dernière étape de 66 km vers Paris. Ils étaient 186 cavaliers au départ d’Etampes.
« Les officiers du raid militaire ont reçu, à leur passage à Pussay, un accueil enthousiaste, les sociétés de gymnastique et de musique se sont réunies et avec la population ont été au devant des cavaliers, drapeau en tête pour les fêter. A Pussay une scène a vivement ému l’un de nos amis, officier du raid, et ses camarades. Les conscrits revenus de la révision d’Etampes, avec leur drapeau, voyant arriver les groupes de cavaliers, eurent l’idée touchante, entrant, de ce fait même dans leur rôle de soldats, de s’aligner sur le côté de la route, leur drapeau en tête et de porter la main à leur front en signe de salut militaire
».

La semaine suivante, le journal reproduit la relation donnée par « Un ANCIEN habitant de Pussay »
« Ce jour-là le pays était en fête, les usines avaient donné congé au personnel. Les rues du village étaient artistement pavoisées ; des guirlandes, des feuillages, des fleurs ornaient les maisons. J’ai remarqué un écusson aux couleurs nationales portant l’inscription : « Alsace ! ». Que de souvenirs ne rappelait-il pas à l’exilé qui l’avait placé ?
De bonne heure, la population s’était massée à l’entrée du village avec les musiques et les gymnastes qui formaient la haie, leur drapeau, avec la belle devise « Dieu et patrie » flottait au vent. Le premier officier est signalé, il apparaît, il est connu de la population, c’est le capitaine Lebrun ! L’enthousiasme est à son comble : « Vive l’armée ! Vive Lebrun ! ». Les clairons sonnent, les tambours battent aux champs et à chaque officier qui passe, c’est le même chant de victoire qui part de toutes les poitrines. Les vieux soldats sont là, ceux de Mars-la-tour, Gravelotte, Saint-Privat. Fièrement campés sur leurs jarrets, ils saluent respectueusement ; il m’a semblé qu’ils pensaient… à la revanche.
Quant à nous qui avons connu ces chevauchées militaires, qui avons senti le frisson des batailles passer dans nos veines au régiment, nous avons versé des larmes, bien des larmes. Nous avons fait notre temps, nous avons payé notre dette à la Patrie et nous sommes heureux de lui donner nos enfants. Chers petits soldats, disséminés un peu partout, qui veillez sur la France
Et puis nous avons vu, et cela nous réconforte, les enfants de toutes les écoles rangés en bataille sous l’œil et la direction de leurs maîtres, acclamer l’âme de la France qui passait.
Ah, Messieurs les Instituteurs, quel bien vous pouvez faire, quel exemple de patriotisme vous avez donné, en ce jour, à cette belle jeunesse. Vous avez prouvé que tous les cœurs battent à l’unisson, quand il s’agit de la gloire de la France. Nous vous remercions bien sincèrement. Vive Pussay !
».

Le 3 avril 1912 une circulaire du préfet de Seine-et-Oise fait connaître que le conseil général a voté une somme de 15 000 F pour l’achat d’aéroplanes militaires. Le conseil vote donc une somme de 100 F, désirant s’associer à l’œuvre patriotique de l’assemblée départementale.
L’Abeille d’Etampes publie, le 28 juin 1913, le récit d’« Un spectateur » : « Nous avons assisté mercredi à une vraie fête militaire, ce qui est rare à Pussay, à l’occasion du passage du 44e régiment d’artillerie en garnison au Mans. En vue de l’arrivée du régiment, à l’entrée du pays s’étaient placés tous les jeunes gens de la classe 1912, leur drapeau flottant au vent et accompagnés de la fanfare municipale sous la direction de son excellent chef M Mornas et du distingué maire de Pussay, M G Brinon qui a fait défiler conscrits et soldats aux accents des airs nationaux, la Marseillaise, le chant du départ et les Girondins… ».

La guerre sur le front

Elle nous est révélée par le journal d’André Guillot, soldat au 82e régiment d’infanterie à compter du 10 octobre 1912, parti en campagne le 2 août 1914, sur le front de l’est. André Guillot est né à Poinville dans l’Eure-et-Loir le 29 décembre 1891. Ses parents s’installent très vite à Pussay où son père, Antoine, est cordonnier. Il a écrit au jour le jour, sauf exception qu’il consigne scrupuleusement, le récit de ses mois de guerre, rédigé dans un style télégraphique, que nous avons volontairement reproduit. Il nous semble en effet que, telles quelles, ces notes donnent toute la mesure et tout le poids de ces journées qui se répètent, toutes les mêmes et pourtant toutes différentes. Aucune émotion ne semble transparaître dans le récit et pourtant la succession abrupte des événements, à la manière d’un automate, en fait ressortir encore plus la brutalité et l’inhumanité. De même, la juxtaposition systématique des faits de guerre et des contingences matérielles rend ce récit surnaturel et hallucinant : « On entend les Boches causer et piocher dans leurs tranchées et couper du bois. Le soir vive fusillade, les balles font sauter la terre sur nous, bu du thé ». La nourriture et le temps, encore plus, y occupent une place importante. Les morts y sont mentionnés presque furtivement, comme s’il fallait vite les oublier.

Août 1914
5 août 1914 : départ 8 h pour Malesherbes, Corbeil, Melun, Nogent-sur-Seine, reçu café et eau alcoolisée ; arrivé Lérouville le 6 août à 5 h. Douze ou treize kilomètres à pied pour aller à Saint-Mihiel, couché caserne chasseur.
7 août : Saint-Mihiel à Buxières, à 18 km de la frontière, cantonné dans une ferme, pris la garde d’un pont.
8 août : revenu à Buxières l’après-midi.
9 août : fait des tranchées jusqu’à 10 h, parti à midi, arrivé à 1 h du matin à Dieue-sur-Meuse, fait environ 35 km par forte chaleur.
10 août : reparti à 6 h du matin pour Ancemont, fait peu de chemin.
11, 12, 13 août : cantonné à Ancemont.
14 août : parti à 1 h, passé près de Verdun, arrivé à Ornes à midi, fait une heure grande halte et une heure repos avant d’entrer au patelin, fait une trentaine de kilomètres.
15 août : cantonné à Ornes, fait tranchées.
16 août : fait exercice le matin, parti à 10 h, la section formant un poste de liaison entre le 4e et le 5e corps jusqu’au lendemain. A 10 h, couché sous un abri, il tombe de l’eau et il fait froid.
17 août : couché à Ornes.
18 août : parti à 5 h 30 pour Grémilly à 4 ou 5 km.
19 août : fait exercice de combat le matin, dans la rosée.
20 août : exercice.
21 août parti à 6 h, arrivé à 3 h 30 dans un champ d’avoine sans avoir mangé. Reçu un orage, entré au cantonnement à 6 h 30, trempé en étant passé par Mangiennes et Longuyon. A Longuyon, les habitants nous donnent de l’eau rougie, de l’eau avec de l’absinthe et du sucre, de la confiture et des allumettes.
22 août : parti à 5 h, combat en Belgique près de Virton reculé devant l’artillerie. Fait des tranchées et couché auprès sur la paille en ayant très froid la nuit.
23 août : reculé, pris position pour la nuit en tirailleur en face d’un bois. L’artillerie française tire sur le 3e bataillon.
24 août : reculé, couché à la lisière d’un bois.
25 août : reculé, couché à côté des tranchées ; alerte pendant la nuit.
26 août : reculé le matin sans combat et sans poursuite de l’ennemi ; fait patrouille pour garder un pont. Deux compagnies sacrifiées pour couvrir la retraite ; arrivé au cantonnement à minuit sous la pluie.
27 août : reculé à un autre cantonnement à 4 ou 5 km. Leroux, une balle au bras ; Badingue, un éclat (écrit après cinq jours de bataille).
28 août : cantonné à Cunel. Reçu deux lettres, fait tranchée le matin et fait passage dans un bois pour l’artillerie avec le génie.
29 août : même cantonnement. Parti toute la journée dans les champs.

A : Lérouville – B : Saint-Mihiel – C : Buxières-sous-les-Côtes – D : Dieue-sur-Meuse/Ancemont – E : Ornes – F : Grémilly – G : Mangiennes – H : Longuyon – I : Virton (Belgique) – J : Cunel – K : Varennes-en-Argonne – L : Vauquois – M : Neuvilly-en-Argonne

Septembre 1914
Du 30 août au 4 septembre : passé à Varennes.
5 septembre : reculé toute la matinée puis formé un avant-poste dans les bois.
6 septembre : bataille dans le bois, reculé.
Dans la nuit du 9 au 10, combat de nuit, reculé, il est tombé de l’eau toute la nuit.
10 septembre : rassemblement de la brigade.
11 et 12 septembre : resté sur place, très mauvais temps.
13 septembre : avancé un peu. Les Allemands reculent, on n’entend pas le canon.
Du 14 au 16, cantonné à Varennes ; reçu percutant sur la maison au moment où nous finissions de manger ; sauvé dans les champs avec Dubois, commandant de compagnie
17 et 18 septembre : pris avant-poste ; tombé de l’eau toute la nuit.
19 septembre : resté dans les bois, cantonné à Varennes.
20 septembre : resté à Varennes, envoyé une lettre.
21 septembre : avancé pour l’attaque d’un village, mais repoussé ; passé toute la nuit dans les bois.
22 septembre : reculé, resté à l’entrée de Varennes en attendant l’ennemi dans une tranchée.
23 septembre reculé au sud de Varennes, puis avancé à un petit patelin : Vauquois ; passé la nuit dans une maison.
24 septembre : pris position au nord du patelin : quatre dans un trou d’obus, deux tués dont le sergent Boton et un blessé que j’ai ramené. Le soir, avancé en tirailleur, puis pendant la nuit, nous sommes venus coucher à Boureuilles (plutôt Neuvilly), les autres avaient reculé.
25 septembre : resté à Lechère ou Sechère ? [endroit non localisé]
26 septembre : passé la journée dans les champs, beau temps, couché au pays.
27 septembre : parti dans les champs, fait cuisine avec Renaudot dans une ferme, couché au patelin.
28 septembre : même position, parti le soir coucher à la lisière d’une forêt en réserve, entendu fusillade.
29 septembre : relevé le soir, couché à Lechère ?
30 septembre : pris position dans la forêt, couché sur place

Octobre 1914
1er octobre : resté et couché à la même place, fait cuisine, froid aux pieds.
2 octobre : même position, vu artillerie de montagne à côté de nous, parti l’après-midi sur la droite pour empêcher d’être tournés, revenu coucher dans les tranchées. Tous les soirs, violentes fusillades.
3 octobre : même position, enterré les morts dans la forêt. Deux pièces d’artillerie de montagne : une de 75 à côté de nous, vive fusillade le soir.
4 octobre : même position, fait cuisine avec Renaudot. Vu Maurice Leroux, Villette et Norbert Michau, revenus du dépôt.
5 octobre : pris position le matin dans les tranchées en première ligne, toujours dans la forêt. On entend les Boches causer et piocher dans leurs tranchées et couper du bois. Le soir vive fusillade, les balles font sauter la terre sur nous, bu du thé.
6 octobre : même position. Le lieutenant réserviste qui nous commande depuis la veille est blessé dans le ravin en avant de nous. Le soir, fusillade à droite et à gauche, mais pas sur nous. Leroux est promu adjudant.
7 octobre : même position, rien de nouveau.
8 octobre : même position, très vive fusillade le soir. Le 2e corps devait attaquer, relevé pendant la nuit par le 3e bataillon.
9 octobre : resté dans la forêt sous des abris, gelée blanche le matin.
10 octobre : reçu une lettre et trois colis et la lettre au commandant de compagnie, commencé les tranchées pour souterrain.
11 octobre : même position, 5e escouade de piquet de 6 h à minuit, pris la garde avec Souème de 6 h à 9 h, arrêté le capitaine Stifen, froid aux pieds la nuit.
12 octobre : même position. Le soir, relevé le premier bataillon dans les tranchées en deuxième ligne (cholérine passée).
13 octobre : resté dans les tranchées, touché une paire de chaussettes et une flanelle, monté la garde de minuit à 1 h 30.
14 octobre : même place.
15 octobre : relevé à la nuit, très violente fusillade en arrivant au bas de la côte, resté couché dans le chemin en attendant, puis couché dans les abris qu’on avait du 10 au 12.
16 octobre : parti le matin avant le jour pour Lechère ? passé par la maison forestière, environ 12 km, les habitants suspects de communiquer avec les Boches par signaux, fait le café à l’entrée du pays, mangé à 2 h, Raffard tue un cochon.
17 octobre : nettoyage du cantonnement, exercice de montage de tentes.
18 octobre : revue en tenue de campagne à 14 h, touché le prêt 51 sous.
19 octobre : vu les deux Leroux et Michau Norbert, reçu deux lettres du 12 et 13 octobre.
20 octobre : parti le matin à 5 h 30 pour aller à 4 km dans la forêt sous des abris, couché avec Chalon et le clairon, reçu le paquet du 13 : deux paires de chaussettes, une boîte de sardine et un morceau de savon.
21 octobre : le premier peloton part le matin en soutien d’artillerie. La première section reste auprès des pièces, la deuxième revient en arrière à la lisière du bois et retourne auprès des pièces le soir. Pris la garde avec Renaudot de 11 h à minuit, reçu l’après-midi le paquet de 2 kg.
22 octobre : revenu le matin à notre emplacement, bu café au lait, thé le soir, changé de linge.
23 octobre : bu trois quarts de café au lait le matin, fait couper les cheveux et raser, reçu lettre du 17 octobre. Le soir, vu signaux lumineux.
24 octobre : touché chemise et savonnette.
25 octobre : Saint Crépin, pris petit poste au coin du bois sur la route à partir de 6 h, moi : de 7 h 30 à 8 h 30 et le soir de 6 h à 7 h et de 11 h à 12 h 15. Tombé eau la nuit, mouillé.
26 octobre : assisté à la dégradation de deux soldats.
27 octobre : commencé tranchée contre artillerie.
28 octobre : parti 4 h du matin dans la forêt pour soi-disant soutenir l’attaque de Boureuilles, fait patrouille fixe en arrivant avec Foucaut, Chalon et X, vu passer un gros chevreuil, vu un gros arbre coupé par percutant, commencé l’attaque après deux heures, réussi à nous déployer en tirailleur et à approcher assez près des tranchées ennemies, reçu pas mal de percutants sans beaucoup de perte. Le soir, débiné, puis revenu. Ma section est placée entre la 3e et la 6e compagnie, à droite de la route ; dans le fossé à côté, se trouve un cheval crevé. Avec Foucaut, Renaudot, les 2 X, mangé pain sec avec du chocolat.
29 octobre : resté dans le fossé, mangé vivres de réserve, parti le soir. La compagnie était partie depuis 11 h du matin, couché dans la forêt en attendant le jour.
30 octobre : parti au jour, retrouvé les autres au chemin croisé, soutenu artillerie de montagne, fait notre tranchée pour coucher, réveillé à 11 h à la disposition du 131 attendu jusqu’à 1 h, puis recouché. Vu Badingue et Michau Norbert.
31 octobre : hommes avec outils partis faire tranchée, attendu qu’on nous apporte à manger, rentré soir, touché caleçon.

Novembre 1914
1er novembre : autre équipe partie avec outils pour faire tranchée, reculé l’après-midi derrière la vallée.
2 novembre : rien de nouveau, troisième équipe aux tranchées.
3 novembre : première équipe aux tranchées, touché une raie de chocolat.
4 novembre : deuxième équipe aux tranchées.
5 novembre : une équipe aux tranchées, cherché effets boches l’après-midi.
6 novembre : aidé  le génie à faire des tranchées pour deux pièces de 155 de long, changé de place de l’autre côté de la route, touché un petit bout de saucisson.
7 novembre : parti après la soupe reprendre l’emplacement où nous étions le 20, à 4 ou 5 km en arrière, rencontré en route vaguemestre, fait pause pour prendre colis et lettres, reçu un colis : bretelles, allumettes, x ?, vu les deux Leroux ; 11e et 12e compagnies à côté de nous.
8 novembre : devons partir dans la nuit pour aller en arrière, puis pas avant 5 h du matin, finalement on ne part pas.
9 novembre : bu chocolat au lait avec Leroux, remis mon soulier.
10 novembre : parti 4 h du matin pour Aubréville, passons par Neuvilly, cantonné dans une grange, chocolat 5 F le kg à la gare, sardines et fromage, acheté 12 cartes postales 8 sous, reçu colis Balez.
11 novembre : acheté camembert 26 sous, vu Lamazure, Corpéchot, devons partir à 22 h pour tranchées. Vu Ch. Corpéchot comme le 313 passait, G. Rémond était passé signer carte que M. Corpéchot envoie chez lui. Acheté un couteau à la gare à 19 h 30, 2 F 50, trois paquets de cigarettes, 1 F 50, une boîte de pâté, 1 F 25 et deux boîtes d’allumettes. Nous partons le soir à 10 h sous la pluie et grand vent, passons par Neuvilly, nous engageons dans les bois, marchons dans l’eau et la boue, nous sommes trempés, arrivons enfin à un abri après plus de deux heures de marche, sommes sur deux rangs : 5e et 6e escouades dans l’abri.
12 novembre : les cuisiniers sont restés à l’arrière, avons le jus le matin. Ordre de n’apporter la soupe qu’une fois par jour à 5 h du soir et le jus le matin à 4 h. Devons faire boyau reliant l’abri à la tranchée la nuit et dormir le jour. Dans la nuit, prenons la garde dans la tranchée : pris avec Gantet, rentré le matin avant le jour.
13 novembre : fini de couvrir notre abri, y couche la 5e escouade seulement (sur du friche)
14 novembre : commencé le boyau, il pleut toute la journée, un peu de grêle. Pris faction la nuit de 2 h à 3 h, gelé pendant la nuit.
15 novembre : il fait un peu soleil, mais il pleut la nuit et nous sommes mouillés dans la cabane.
16 novembre : la 5e escouade prend la garde au boyau au petit jour. Reçu colis. Il pleut toute la journée, nous sommes dans l’eau et la boue. Ça ne tombe plus pendant la nuit, il gèle un peu sur le matin.
17 novembre : revenus aux cabanes le matin couverts de boue. Il fait soleil et ne tombe pas d’eau. Nous passons une bonne nuit. Il gèle, crevasse aux pieds.
18 novembre : fait soleil chaud, mais vent froid.
19 novembre : il gèle. Nous passons la nuit à faire du feu dans la cabane, faisons deux fois café et une fois thé.
20 novembre : sommes relevés à 2 h du matin, sol très glissant, mettons beaucoup de temps à sortir des bois, arrivons à Jubécourt vers 10 h, couchons dans petite bergerie, avons chaud mais sommes serrés. J’achète un litre de bière 10 sous.
21 novembre : froid très vif, crevasses. J’achète un litre de vin blanc 22 sous.
22 novembre : sommes vaccinés contre la typhoïde au bras gauche, un peu malade, mal de tête le soir et la fièvre. J’achète du vin rouge, 18 sous, une demi-livre de gruyère, 1 F, trois boîtes de sardines à 16 sous, un kg de sucre 24 sous.
23 novembre : 1 kg de chocolat à un cycliste, 4 F 50, un journal, 2 sous.
24 novembre : une heure d’exercice matin et soir.
25 novembre : il tombe de la neige.
26 novembre : dégel, exercice le matin, revue le soir par le nouveau sous-colonel. La 5e escouade prend la garde aux issues la nuit.
27 novembre : dégel toujours. Passés à la 7e escouade, partons à 9 h 30 du soir reprendre nos emplacements, arrivons à 5 h du matin.
28 novembre : pris la garde en arrivant avec Dubois.
29 novembre : creusons des tranchées et abris, pris la garde la nuit de 9 h à 11 h et de 3 h à 4 h avec Vernottes, couché dans petit abri avec Dubois.
30 novembre : la 7e escouade change de place et prend la garde, suis sous abri avec Dubois, reçu deux colis : mixture eng. (sic), ceinture, cravate. Pris la garde avec Dubois à une tranchée en avant de 9 h à 11 h et de 4 h à 5 h 30. Reprenons la place de la 5e escouade le matin.

Décembre 1914
1er et 2 décembre : relevés à 3 h 30 du matin par la 2e compagnie, prenons la place de la 3e compagnie en arrière près de l’artillerie de 90. Fait beau temps.
3 décembre : il tombe de l’eau.
4 décembre : petit poste près de la rivière, arrêtons trois patrouilles de marsouins.
5 décembre : sommes relevés à 7 h du matin, allons à Jubécourt en passant par Neuvilly et Auzéville. Reçu pantoufles et genouillères.
6 décembre : sommes revaccinés.
7 décembre : revue en tenue de campagne d’alerte.
8 décembre : nous tenons prêts à partir pour 10 h, passons nuit dans le cantonnement.
9 décembre : rassemblés à 6 h, puis rentrés dans la grange.
10 décembre : exercice.
11 décembre : exercice matin, exercice pour poser fil de fer l’après-midi.
12 décembre : revue du général : système allemand pour traiter les hommes. Reçu colis Blin : chemise, caleçon, ceinture, passe-montagne, cache-nez, chaussette, gilet de laine, un quart de chocolat, une savonnette, le tout dans une serviette. Changé de linge.
13 décembre : reçu bande molletière. Partons à 19 h pour le bois à gauche et en avant d’où nous étions avant, passé par chemin épouvantable où nous enfoncions jusqu’aux genoux, pris la garde en arrivant avec Dubois.
14 décembre : resté dans la cahute souterraine.
15 décembre : formé petit poste la nuit.
16 décembre : reçu toile imperméable, partis à 19 h nous rassembler au bois noir et à 21 h pour tranchée Vauquois en passant par les boyaux.
17 décembre : beau temps, le cuisinier apporte à manger.
18 décembre : les cuisiniers ne viennent pas jusqu’à la nuit, avons les distributions un peu plus tard. Il pleut dans la nuit et je m’abrite avec la toile imperméable.
19 décembre : assez beau temps, très froid, il pleut dans la nuit.
20 décembre : il pleut toute la matinée, violente canonnade, tir des mitrailleuses : on attaque Boureuilles paraît-il. Reçu colis.
21 décembre : ordre du jour Joffre : l’attaque continue. Une pièce française nous envoie des percutants et l’un d’eux tombe dans notre tranchée à 7 ou 8 m de moi, mais personne n’est blessé. Il gèle blanc la nuit.
22 décembre : fait soleil. Poursuite d’un aéro boche par un français qui le mitraille à trois fois.
23 décembre : brouillard très froid. J’ai la cheville du pied gauche enflée. Sommes relevés la nuit. Ça demande beaucoup de temps. Revenons au bois noir.
24 décembre : tombe de la neige. Violente canonnade, nous tenons prêts à partir. Je porte des cartouches dans les tranchées de Vauquois.
25 décembre : fait soleil. Vais chercher colis aux cuisines et travaille à faire un boyau jusqu’à minuit.
27 décembre : le temps se remet à l’eau, très froid. Partons à 1 h du matin pour tranchées
28 décembre : passons la journée dans tranchée première ligne, tombe de l’eau, formons petit poste sur la route. Villette a été tué dans la journée.
29 décembre : passons journée dans petit poste, tombe un peu de grêle.
30 décembre : fait froid, recevons bombes qui démolissent le souterrain du génie, sommes relevés par la 6e, allons bois noir.
31 décembre : suis dans la cabane avec Vernotte, vais aux colis avec Pousin, j’entends le colonel 113 à l’avant-garde parler d’attaques.

Janvier 1915
1er janvier : touchons une mandarine, une pomme, un cigare, deux raies de chocolat, trois morceaux de sucre et une bouteille de champagne pour quatre.
2 janvier : touchons six noix, quartier de mandarine, philopode [semble être un onguent pour les pieds]
3 janvier : partons 1 h du matin pour les tranchées, attaque de Vauquois à 5 h phare de Vauquois éclairé
4 janvier : reçu colis du 28, tombe bombe dans première tranchée : un mort, cinq blessés. Dans la nuit, monté rouleaux de grillage contre les bombes.
5 janvier : rien
6 janvier : je pars le soir avec les éclopés.
7 janvier : sommes à Courcelles dans une porcherie, reçois colis et lettre Colas.
8 janvier : vais à la visite, couche à l’infirmerie.
9 janvier : visite, prends bain de pieds chaud, massage, achète boîte de dattes, 1 F 50.
10 janvier : achète une demi-livre de beurre, 1 F 05, bain, massage iodé.
11 janvier : achète confiture.
12 au 14 janvier : départ du régiment pour une destination inconnue (Argonne), je vais d’Aubréville à Clermont-en-Argonne en auto et à Lavoye en chemin de fer.
15 janvier : douche, visite
16 et 17 janvier : vu Rémond et Leroux M., mangés ensemble.
18 janvier : visite.
19 janvier : Leroux vidé.
20 au 23 janvier : visite pansement.
24 au 27 janvier : visite, évacué.
28 janvier : départ de Lavoye à 10 h du matin, arrivée à Clermont à 11 h, bu du bouillon, reparti à 1 h 30, arrivé à Saint-Dizier à 6 h 30, mangé dans la gare, reparti à 11 h.
29 janvier : passé à Châtillon-sur-Seine, mangé, puis Dijon, vu la cathédrale, puis Châlons-sur-Saône, midi, mangé, puis Lyon, arrivé à 5 h, mangé, reparti à 6 h, puis Nîmes.
30 janvier : arrivé à Montpellier vers 8 h du matin, vaccin contre le tétanos le 1er ou le 2 février.

Laissez-passer délivré par la mairie de Pussay aux parents d’André Guillot,
pour aller visiter leur fils à Lavoye (recto verso)

Le journal s’interrompt alors, pour reprendre le 24 mars, date à laquelle il note « passé devant la commission de convalescence, parti le 27 au soir, arrivé le 28 à minuit ». Où ? notre soldat a oublié de l’écrire. Un mois plus tard, il rentre au dépôt et le 17 mai au « bouif », son métier de cordonnier l’y prédisposant. Mais le front le rappelle bien vite et le 27 août, il part de Montargis à 7 h pour Clermont-en-Argonne, où il arrive le lendemain soir, arrêté en chemin par un orage et s’étant réfugié dans une écurie, pour être incorporé au 169ème régiment d’infanterie. Le 8 septembre il part à 23 h en voiture pour Florent, Vienne-la-Ville, La Harazee. Voici ce qu’il écrit :
10 septembre : parti en première ligne, même tranchée que les boches.
13 septembre : au soir, deuxième ligne.

A : Clermont-en-Argonne – B : Florent-en-Argonne – C : Vienne-la-Ville – D : La Harazee – E : Bulainville/Nubécourt – F : Moiremont – G : Sainte-Menehould – H : Jean d’Heurs

Dans cette lettre qu’il adresse à ses parents le 13 septembre 1915, il trace un croquis de sa situation dans la tranchée commune avec les Allemands, à La Harazee :
«  J’ai reçu ce matin votre lettre du 10 avec la grandeur pour la bague mais je n’ai pas le temps pour le moment car nous sommes toujours occupés à quelque chose [il fait probablement allusion, là, à la bague de sa future femme]. Cette nuit nous avons tous veillé aux vicinaux ? jusqu’à 11 h puis 1 sur 2 jusqu’à 3 h du matin et ensuite tout le monde jusqu’au jour. Ça ne fait que 2 heures à se reposer et dans le jour il faut encore veiller, travailler à aménager la tranchée ou faire des corvées. On va chercher des sacs de terre, des créneaux, des gabions, grenades, pétards, de l’eau, du fil de fer, enfin on n’est jamais tranquille. Cette après-midi nous avons changé on est dans la 2e ligne. Je ne sais pas combien de temps on va y rester. On va peut-être être un peu plus tranquille qu’en 1ère. Cette nuit nous avons eu une petite alerte. Tout à coup, il a éclaté une violente fusillade, alors les 75 se sont mis à cracher comme des démons et les pétards et grenades, tout s’en est mêlé et vous pensiez si les fusées éclairantes ont marché aussi. On se serait cru en plein midi. La tranchée où nous étions en 1ère ligne est également occupée par les Allemands, on est séparé d’eux par deux barrages en sacs de terre. Maintenant pour faire des bagues, il me faudrait une petite lime demi-ronde si vous pouviez trouver ça à Pussay, vous m’en enverriez une ou à défaut un tiers-point car ici on ne peut pas trouver ça. Je vous embrasse de tout cœur.
A. Guillot
Nous n’avons pas reculé d’un kilomètre comme je vous l’avais dit, c’était un peu exagéré on a reculé d’environ la moitié.
»

Suit, sur sa lettre, un croquis de la situation, où il montre bien la tranchée commune aux Allemands et aux Français, ancien boyau conduisant aux tranchées note-t-il, avec deux barrages en son milieu, l’un allemand, l’autre français. Une croix indique la situation où il était « hier » (dans la tranchée commune). Une autre croix (dans la tranchée à gauche de la tranchée commune) indique la situation où il se trouve « en ce moment ».

15 septembre : au matin descendu en arrière, parti soir pour Florent embarqué en auto, arrivé Bulainville 16 au matin.
Reparti le 21 en auto, arrivé soir à Moiremont, couché guitoune.
24 septembre : après-midi touchons grenades et couteaux et montons en première ligne, arrachons les fils de fer pendant la nuit, sommes dans la deuxième tranchée.
25 septembre : attaque, blessé dans la première tranchée, pansé infirmerie, conduit en auto à l’ambulance 6-3.
[il a reçu des éclats d’obus au poumon gauche et risque un pyothorax, ou pleurésie purulente : épanchement de pus entre les deux feuillets de la plèvre]
26 septembre : ventouses et sérum antitétanique.
27 ou 28 septembre : ponction.
29 septembre : transporté à Sainte-Menehould, opéré, fait injections de morphine pour dormir.
4 octobre : transporté à Jean d’Heurs.
14 octobre : 40,1° de fièvre.
25 et 27 octobre : sorti deux éclats, un petit le 25, un plus petit le 27.
Toussaint : mis ventouses côté gauche pour rhume.
10 novembre : sorti un éclat plus gros.
20 novembre : quitté Jean d’Heurs, arrivé 21 au soir à Clermont, sorti le 28 décembre 1915.

.

Extrait de son livret militaire

Après avoir passé une visite médicale le 29 décembre et la commission de révision le 4 janvier 1916, il revient à Pussay le lendemain. Le 11 février, il est prolongé d’un mois. C’est alors qu’il se marie, le 14 mars 1916, avec Angéline Brancharel, née le 16 janvier 1890 à Arches dans le Cantal. Comme beaucoup de jeunes femmes, nées dans le Cantal ou la Corrèze et plus particulièrement à Arches, Angéline est arrivée à Pussay pour travailler comme ouvrière en laine à l’usine Brinon.

Bague destinée à Angéline, dont il parle dans sa lettre, et réalisée sur le front.

Le 21 mai, il passe à nouveau une visite médicale à Montargis et il est proposé inapte pour un mois. Le 14 juin, le conseil de réforme le déclare encore un mois inapte, mais le 12 juillet il devient auxiliaire. Sa femme vient le rejoindre lors d’une permission du 23 au 26 août. Il réintègre sa section le 6 septembre et un mois plus tard, il passe une radiographie. Le lendemain, 6 octobre, il reçoit la visite du major. Il a le cafard toute la journée, marquée par une alerte de Zeppelin. Six jours après, lors d’une deuxième visite, il est maintenu auxiliaire, à la disposition du maître cordonnier du 169ème régiment jusqu’au 31 mai 1917. Le sursis sera annulé par décision du général commandant la 5ème région, le 2 mai 1917. Son journal n’est plus tenu que par brefs épisodes et c’est son livret militaire qui nous apprend la suite. Il rentre au corps le 5 mai et passe à la 5ème section de C.O.A. le 26 juin. Les Commis et Ouvriers militaires d’Administration étaient chargés d’approvisionner le front, à partir de leur région de rattachement, en l’occurrence la 5ème région correspondant au centre de la France. Très vite, cette tâche fut assurée par les auxiliaires, les inaptes ou les blessés de guerre, les hommes valides étant appelés sur le front. Il arrive ainsi à l’entrepôt d’habillement d’Orléans le 27 juin 1917. Dès lors, il ne note plus dans son journal, que ses permissions : du 22 au 28 septembre, du 14 au 20 janvier 1918, du 24 au 30 mai, du 17 au 23 septembre. Du 25 décembre au 3 janvier, il a une permission de 10 jours et le 21 mars 1919 il est démobilisé à la 22e section de Versailles.

Il n’en a pas pour autant fini avec la guerre, car en décembre 1919, il est malade. Le lundi 5 janvier 1920, un abcès est percé et le samedi 10 un autre éclat d’obus est sorti. Il sort de l’hôpital le 24 janvier et retravaille le 1er mars. Il ne cessera ensuite d’être malade et fera jusqu’en 1930 des congestions et pleurésies purulentes. Il recevra encore la visite du médecin militaire le 15 décembre 1930 et une surexpertise sera faite à la Salpétrière le 3 août 1931. Toute sa vie, ce monsieur très calme et tranquille, gardera les séquelles de cette guerre : il marchait très doucement, ayant conservé des éclats d’obus, et il était toujours chaudement habillé, car il ne fallait pas qu’il s’enrhume.

Les soldats s’occupaient comme ils pouvaient pendant les longues heures qu’ils passaient dans les tranchées ou dans leur cantonnement, quand ils n’étaient pas occupés à y travailler. Chacun se livrait donc à son passe-temps favori. Celui d’André Guillot était de « sculpter » des feuilles de chêne.

« Souvenir de Paucourt 1916 ». Paucourt est une commune du Loiret non loin de Montargis,
André était alors blessé pour la deuxième fois.

Feuilles adressées à Angéline. Cette œuvre d’art était un véritable travail de patience. Il réalisait tout d’abord le modèle, à gauche, sur une feuille de papier épais mais souple, appliquait le modèle sur la feuille de chêne et, à l’aide d’une « brosse », perçait la feuille de chêne en ayant soin de bien conserver ses nervures, sauf à l’endroit où le modèle était posé.

Autres réalisations : Doux Souvenirs, Porte Bonheur, Bons Baisers

André Guillot a mis l’accent dans sa lettre sur ces sacs de terre utilisés pour la construction des tranchées. Dans toute la France, les civils œuvrent alors pour préparer ces sacs, comme en témoigne cet avis du Maire de Pussay le 16 septembre 1915 :
« Le Maire a l’honneur de remercier toutes les personnes charitables qui confectionnent des sacs à terre pour nos soldats. Il remercie particulièrement MM. les cultivateurs, qui ont donné une quantité importante de toiles.
La mairie reçoit les sacs tous les jours. Un envoi sera fait dans le courant de la semaine prochaine.
Une personne généreuse a déposé à la mairie huit sacs neufs. Il n’a pas été pris note de son nom. Cette personne est priée de se faire connaître, le Maire désirant lui adresser ses remerciements
».

Le même jour, un autre avis est publié : « Le Maire a l’honneur de rappeler que demain vendredi, à 10 heures du matin, Mr le directeur de la banque de France d’Etampes, se rendra à la mairie de Pussay, pour y recueillir l’or qu’on voudra bien lui verser.
Le Maire fait encore une fois appel au dévouement patriotique de la population.
Si vous ne l’avez déjà fait, versez tout l’or que vous possédez. Versez la piécette de 10 fr, le louis d’or de 20 fr, versez la pièce de 40 ou de 100 fr, que vous conserviez précieusement, versez même ce souvenir de la famille. N’hésitez pas ! La Patrie vous en sera reconnaissante
».

La vie en dehors du front

Ainsi, les événements tragiques qui se déroulent sur le front, trouvent un écho dans chaque ville et village. Dès le 3 août 1914 « La municipalité de Pussay adresse à M le président de la République Française l’hommage de son respect et de son dévouement et ses meilleurs vœux pour la vaillante armée française.
Le conseil en raison de la situation exceptionnelle créée par la mobilisation, désirant venir en aide aux femmes et enfants privés de ressources, demande au préfet l’autorisation d’employer les fonds restés disponibles à la fin de l’exercice 1913 et de les mettre à la disposition de la municipalité pour installer une cuisine destinée à nourrir tous ceux qui seront reconnus absolument nécessiteux
». 61 demandes de soutien de famille sont déposées.

Louis Firon est nommé adjoint provisoire, en remplacement de Maurice Sevestre mobilisé à partir du 6 août. Le curé de Pussay, M l’abbé Mainfroy, est également mobilisé à partir du 10 août, ainsi que de nombreux autres soldats, dont les noms et les faits de guerre, quand nous les connaissons, sont cités à l’article « Vie quotidienne », « Conscrits ».

Louis Cochery – Photo prise avant son départ pour la guerre

Jean Aubouin – Photo prise avant son départ pour la guerre

Georges Fessard – Au dos de la photo est écrit « Bons baisers d’un petit poilu » signé Jean

Le village n’est pas épargné par la guerre et voit en 1914, vingt cinq de ses enfants mourir pour la France. 1915 sera l’année la plus noire avec trente et un morts.

Le 19 juin 1915, les enfants des écoles communales déclarent renoncer à leur prix en raison des circonstances actuelles et demandent à ce que la somme soit affectée à des œuvres de bienfaisance. Sur les 400 F correspondants, 100 F sont donnés à la croix rouge, 100 F aux Dames françaises et 200 F à la journée de Seine-et-Oise. Ils renouvellent leur geste en 1916 et la somme sert cette fois à secourir les veuves et orphelins de la guerre nécessiteux de la commune.

L’école des garçons de Pussay participe, quant à elle, à l’emprunt de la défense nationale pour la somme de 10 F et reçoit un magnifique certificat.

Certificat attestant la participation de l’école des garçons à l’emprunt de la défense nationale en 1915

Le 7 janvier 1916, la commune verse 600 F pour l’association régionale pour l’assistance aux mutilés des armées de terre et de mer de l’arrondissement d’Etampes. Le 2 avril décède Louis Désiré Vincent Bigot qui lègue 1000 F au bureau de bienfaisance, à charge pour ce dernier d’entretenir à perpétuité son tombeau de famille. Ce legs, plus le produit des concessions et un don anonyme de 4500 F fait en faveur de la commune, sera utilisé pour participer au deuxième emprunt national émis pour poursuivre et terminer la lutte contre l’ennemi. La participation totale de Pussay à cet emprunt s’élève ainsi à 6500 F.

Le village héberge probablement un cantonnement puisqu’une carte postale indique « Pussay, 10 avril 1916. Bien reçu votre carte nous annonçant votre arrivée à Clignancourt. Depuis quelques semaines nous sommes à Pussay ne regrettant pas le cantonnement de Monnerville. 3 ou 4 jours après votre départ [la lettre est adressée au sergent Legagneur du 230e régiment territorial, 8e compagnie à Clignancourt], le cuistot a été remplacé avec avantage par Laborte. Il est question que les gardiens vont être relevés. Les 19e et 20e compagnies du 139 devant remplacer à Étampes les 17e et 18e. Nous espérons que cette carte vous trouvera en bonne santé et vous serrons cordialement la main ».

Le 13 juillet, le conseil demande au maire de prendre un arrêté pour réglementer l’usage des bornes fontaines et empêcher les enfants de les détériorer en en faisant usage inutilement. Ce même jour, il accorde l’assistance aux femmes en couche, à Mme Corpéchot Edouard, dont le mari est mobilisé et qui est sur le point d’avoir son cinquième enfant. L’insouciance des enfants et la gravité de la situation se mêlent à la lecture des registres.

Au fur et à mesure que la guerre avance, les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles aussi pour la population civile. Le 25 avril 1917, le conseil, considérant que l’approvisionnement en charbon est impossible malgré les efforts de l’officier départemental et du groupement charbonnier, que la commune de Pussay qui se compose en majeure partie d’ouvriers et qui a reçu plus de 400 réfugiés, n’a plus ni bois ni charbon pour la cuisson des aliments, qu’elle se trouve trop éloignée des forêts pour pouvoir aller chercher le bois dont elle a besoin, que les wagons, que les attelages manquent, qu’il est nécessaire de constituer dès maintenant un stock de bois, délibère et émet le vœu que le préfet veuille bien intervenir auprès du service des ponts et chaussées afin d’obtenir l’autorisation de faire abattre par les cantonniers les arbres situés sur la route de Dourdan, entre Angerville et Authon-la-plaine, en enlevant un arbre sur deux. Le bois serait vendu aux particuliers au profit de l’administration après entente préalable. Il semble que seul un élagage ait été accordé.

Trois jours plus tard l’Abeille d’Etampes relate ainsi un grand incendie à Pussay « Il serait sot de voir de la malveillance ou de la négligence dans tous les incendies ; mais il serait tout à fait imprudent de ne pas rechercher les causes exactes des nombreux sinistres qui depuis quelques semaines dévastent les fermes de la région Dourdan, Etampes, Corbeil… Les étincelles échappées des machines, chauffées au bois ou à la paille, peuvent servir de prétexte plausible. Il n’en est pas moins vrai que la pénurie de blé qui nous menace est parfaitement connue de tous, amis et ennemis, ce qui doit nous mettre en garde et nous faire redoubler de surveillance.
C’est à Pussay que le fléau a occasionné mardi 24 avril de terribles ravages. M Thomin Louis possède en bordure de la route de Monnerville une vaste ferme. Depuis 6 jours une équipe de prisonniers boches y était employée à battre du grain sous un grand hangar de 570 m² couvert d’ardoises. La batterie et la presse à paille étaient à l’intérieur ; la locomobile qui les actionnait était par contre à l’extérieur mais à proximité (1m environ) des montants du hangar et de son toit. Le gardien des prisonniers, le soldat Chaveriat Pierre du 58e territorial vit tout à coup vers 18h10 des flammes à proximité de la batteuse sous le hangar. En l’espace de quelques secondes, le feu se propagea avec une rapidité foudroyante par tout le hangar. Le vent qui tourbillonnait dans la cour de la ferme l’activa encore et le fléau prit rapidement une grande intensité, embrasant le hangar en entier, puis s’attaquant aux bergeries couvertes en chaume situées à 5 m de là.
Le soldat Chaveriat donna aussitôt l’alerte et emmena les prisonniers par un chemin détourné pour éviter le contact avec la population qui paraissait très surexcitée à leur égard. Sous la direction des gendarmes d’Angerville qui organisaient les secours, toutes les personnes valides de Pussay et des environs se mirent à combattre l’incendie et firent la chaîne pour approvisionner en eau les pompes de Pussay, Monnerville, Angerville, Grandville et Gommerville qui étaient arrivées sur les lieux. Les maisons les plus proches furent évacuées et déménagées. Enfin, au bout d’une heure de travail, le fléau était localisé. Deux seulement des maisons voisines, situées à 3 ou 4 m furent atteintes. Cependant les sauveteurs durent lutter toute la nuit et une grande partie de la journée de mercredi pour étouffer l’incendie. Quelles sont les causes de ce sinistre ? Elles n’apparaissent pas très clairement ; cependant il y a lieu de remarquer que le blé battu donnait beaucoup de poussière et une grande quantité de chardons voltigeait partout en raison du vent. Le feu a pu être mis par une flammèche, car la même paille est brûlée alternativement avec du charbon pour économiser le combustible.
Les dégâts sont considérables : 350 sacs de blé, dont 210 battus, 210 sacs d’escourgeon non battus, 2000 bottes de prairie, soit 10000 kg, une autre prairie en meule de 8000 bottes environ, soit 40000 kg et 1000 bottes de paille d’avoine situées près du hangar
».

Manque de bois, manque de blé, présence de prisonniers, cherté de la vie, la guerre imprime durablement son empreinte, mais il survient des instants très brefs beaucoup plus dramatiques lors des annonces de décès faites aux familles. L’Abeille d’Etampes nous apprend le 24 octobre le décès d’Amédée Delattre, fils du docteur Delattre, affecté au 28e régiment d’artillerie à Vannes. Il s’illustra sur le front de l’Aisne et fit l’objet de nombreuses citations. Mme Delattre, la femme du docteur faisait partie des Dames françaises de la Croix Rouge d’Etampes.

Le jour de Noël, le lieutenant Soupault du 58e territorial, délégué par le commandant d’armes d’Etampes, procède à Pussay à la remise de croix de guerre aux parents de deux soldats de la commune décédés, le soldat Baranton du 332e d’infanterie et le soldat Louis Poussineau du 56e d’infanterie.

Certains en reviennent tout de même, comme Henri Rebiffé, classe 1891, soldat brancardier à la 9e compagnie du 28e régiment territorial d’infanterie, cité à l’ordre du régiment le 30 mai 1917 « Dans la nuit du 4 au 5 mai n’a pas hésité à se porter courageusement au secours d’un militaire d’un autre régiment qui venait d’être blessé grièvement ; l’a transporté, sous un violent bombardement accompagné d’obus à gaz et en parcourant un terrain découvert, au poste de secours de son régiment ». Il reçut la croix de guerre. Il était à la mobilisation représentant de la maison Henri Brinon.

Les sujets du certificat d’études, passé à Pussay le mercredi 19 juin 1918, rendent bien compte de l’atmosphère qui règne alors.
Composition française
I – La carte de pain. Comment a-t-elle été délivrée à vos parents ? Donnez les raisons pour lesquelles elle a été établie ?
II – Nos alliés. Vous avez rencontré des soldats des armées alliées. Faites la description d’un de ceux que vous avez le mieux remarqués, l’homme, sa physionomie, son allure, le costume, l’équipement. Quels sentiments ressentez-vous à l’égard de ceux qui viennent combattre avec nos poilus ?
(l’un ou l’autre sujet au choix du candidat).
Dictée. Un blessé amputé
On vient de faire à un soldat l’amputation d’une main. L’opération a réussi à souhait ; le blessé commence à se lever. On lui annonce l’arrivée de sa mère qui a fait un long voyage pour venir l’embrasser. Mais la brave femme ignore l’opération. Le blessé ne veut pas qu’on apprenne à sa maman la triste nouvelle. Il emmaillote de telle sorte le poignet mutilé, dissimule si bien son bras le long du corps, que la mère prend pour une égratignure la blessure de son petit et repart rassurée. « Elle saura toujours trop tôt » s’écrie le brave garçon, heureux d’avoir pu éviter cette peine à sa mère.
Questions :
I – Expliquer : amputation, mutilé, dissimuler (1 point ½)
II – Analyse grammaticale : « La brave femme ignore l’opération » (2 points ½)
III – Conjuguer : « prendre » à la 2e personne du singulier et du pluriel du futur simple et du conditionnel présent (1 point)
Arithmétique
I – Un épicier a acheté 255 kg de savon à 296 F le quintal. Dans le voyage, en séchant, le savon a perdu 6 kg 8 de son poids. Combien l’épicier doit-il revendre le kg de savon, s’il veut gagner 33 % du prix d’achat ?
II – Un grenier de 6 m 20 de long, 3 m 50 de large et 2 m 70 de haut est rempli aux 2/3 de sa hauteur. Combien contient-il d’hectolitres de blé. Donnez la valeur du blé à 80 francs l’hectolitre.
Sciences
I – La chauve-souris pond-elle des œufs ? A-t-elle des dents ? (3 points)
II – Pourquoi l’emploi des châssis vitrés ou de cloches permet-il d’avoir des récoltes hâtives ? (4 points)
III – Un poisson vivrait-il dans de l’eau qui a été bouillie ? (3 points)
Dessin
Garçons : un groupe de légumes
Filles : un torchon accroché au mur
Couture : un oeillet

Le 3 août le sous-lieutenant Etienne Brinon est cité à l’ordre de la 7e SMA du 133e régiment d’artillerie lourde : « Jeune officier actif et dévoué, prêt en tout temps à accomplir les missions périlleuses. A toujours donné au personnel sous les bombardements ennemis, l’exemple du sang-froid et de l’énergie ». Le 21 septembre, le journal mentionne René Hardy téléphoniste radio au 246e d’infanterie et précise que la famille Hardy a ses trois fils sous les drapeaux. Outre René, l’aîné blessé est prisonnier en Allemagne depuis mars 1916 et le second est au front dans l’artillerie depuis le début des hostilités. Le 2 novembre, il cite Maurice Bourdeau sergent à la compagnie 917 du 6e régiment du génie.

Au lendemain de la guerre, le pays est en allégresse et Pussay commémore la paix et le traité de Versailles des 28 et 29 juin 1919.

Souvenir des 28 et 29 juin 1919 devant la maison Georges Robert, rue de la brèche.

.

La commémoration des morts

Dans les années qui suivent, les familles qui le souhaitent font rapatrier le corps de leur soldat. La réinhumation donne lieu à une cérémonie émouvante à laquelle assiste toute la population. C’est toujours l’Abeille d’Etampes qui relate et nous ne pouvons citer que les soldats qu’elle cite elle-même.

« Dimanche dernier à 2h, [le 29 janvier 1922] la majeure partie de la population se pressait aux obsèques et à la réinhumation de Julien Emmanuel Gauron mort pour la France le 4 juin 1916 à Flirey, Meurthe et Moselle. Appartenant à la classe 14, il avait conquis les galons de sergent au 17e bataillon de chasseurs. Déjà titulaire de la croix de guerre avec étoile de bronze pour sa belle conduite, il fut mortellement blessé par un éclat de torpille, dans la tranchée qu’il occupait au nord-ouest de Flirey. Sous-officier de haute valeur, s’est particulièrement distingué à Verdun dans des missions dangereuses. Blessé mortellement le 4 juin 1916 en passant ses consignes au sous-officier qui venait le relever, a continué jusqu’au dernier soupir à passer ses consignes. Est mort sans avoir d’autres préoccupations que celle de son devoir ».

« La dépouille du camarade Paul Rousseau est arrivée à Pussay mardi dernier 21 mars. Comme toujours une nombreuse assistance à l’église et au cimetière, avec délégation de tous les corps constitués. Sur sa tombe M François Brinon, président de l’UNC, prononça une allocution … Paul Rousseau était né le 15 août 1884 et vint se fixer à Pussay en 1910. Mobilisé ainsi que ses trois frères, il fut affecté au 131e d’infanterie et connut les durs combats du début de la guerre, avec le 5e corps si gravement éprouvé. Blessé le 17 septembre 1914, il fut versé dans la 5e COA à Arcq, Pas-de-Calais, et le 10 juillet 1915 fut atteint à la jambe gauche. Il s’éteignit deux jours après des suites de ses blessures ».

« Dimanche 9 avril cortège imposant pour suivre la dépouille du soldat Louis Gry, ramené du front. Discours de François Brinon, président des Anciens Combattants de Pussay sur sa tombe : « De la classe 1901 comme tant de courageux Français, tu partis en août 1914 sitôt l’appel angoissant de la mère Patrie laissant à ton foyer ta femme et tes deux enfants en bas âge. Pendant près de deux longues années au 31e d’infanterie, ta vaillance surmonta sans faiblesse les luttes journalières, les souffrances, les privations et la tristesse causée par la mort de ta femme. Puis c’est en Argonne, à Vauquois, le 8 février 1916, tu es placé la nuit comme sentinelle et tandis que tes camarades fatigués essaient de trouver le sommeil dans leurs abris, malgré le fracas incessant de la mitraille ennemie, toi, soldat obscur, derrière ton créneau de guetteur, tu veilles ! Tu veilles… et dans le bruit assourdissant des explosions qui grandit à chaque minute, ta pensée s’échappe de cet enfer vers ton village… et pendant cette nuit tu mourus ». Il laissait deux pupilles de la Nation derrière lui.

En décembre, le corps de Léon Guitton est ramené de Bourbonne-les-bains où il était mort le 28 novembre 1914.

Henri Brinon tient à rendre grâce à Dieu de la victoire et il fait placer, dans la centrale électrique de son usine une statue du Sacré-Coeur. À gauche de la statue, une plaque sur laquelle il avait fait graver ces mots « en exécution du voeu que j’ai formé le 5 septembre 1914 de placer en mon usine une statue du Sacré-Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ si notre patrie était victorieuse, si ma maison était protégée et si mon fils Jacques m’était rendu. J’ai, le coeur plein de reconnaissance, fait ériger cette statue le 13 juin 1920. Daigne Dieu tout puissant en sa miséricorde protéger dans la paix comme dans la guerre notre patrie, notre travail, nos familles et qu’il donne sa paix éternelle à ceux des ouvriers de cette maison qui sont héroïquement tombés pour la défense et l’honneur de la France immortelle. Henri Brinon ». À droite de la statue, est apposée une plaque « À la mémoire des ouvriers de la maison Brinon morts pour la France », suivent les noms et la formule « REQUIESCANT IN PACE ».

Le souvenir des morts et la camaraderie des tranchées se perpétue dans les associations d’anciens combattants. Le 11 avril 1922, la réunion plénière des Anciens Combattants de Pussay fait état d’une centaine de membres. Le bureau leur fait part de leur affiliation à l’Union Seine-et-Oisienne des Anciens Combattants et des avantages que celle-ci procure à ses adhérents par l’intermédiaire de l’action sociale de Seine-et-Oise reconnue d’utilité publique.

Il se perpétue également par l’érection dans toutes les communes de France d’un monument aux morts. Dès le 25 août 1919, le conseil municipal décide d’ériger le monument à l’emplacement de la grande mare des champs. Un comité est créé pour l’étude du monument et une souscription est lancée. Le 22 juin 1921, le conseil, considérant que la souscription publique ouverte par le comité pour l’érection d’un monument aux morts pour la France dans la commune de Pussay n’a pas fourni une somme suffisante pour l’établissement d’un monument digne d’eux et de la commune, décide d’accorder au comité une subvention de 10000 F.

Inauguration du monument aux morts avec la société de gymnastique et à droite,
devant la tribune, les enfants de Marie avec leur bannière

Le monument aux morts est inauguré le 25 septembre 1921 au cours d’une grande fête à laquelle participe la fanfare remise sur pied par M Mornas, chef de musique au lendemain de la guerre, la gymnastique de la Jeanne d’Arc et les enfants de Marie.

Gustave Brinon prononce le discours d’inauguration dans la tribune
en présence de nombreux habitants et associations
.

Or il se trouve qu’en 1923, par arrêté du ministre de l’intérieur en date du 29 janvier, il est attribué à la commune de Pussay la somme de 3228 F à titre de participation de l’Etat aux dépenses d’érection du monument aux morts de la grande guerre. Ces frais étant soldés, la somme est donc disponible. Afin d’employer ces fonds à leur véritable destination, le maire propose d’ériger, dans la salle de la mairie, un bas-relief portant les noms des 102 enfants de Pussay morts pendant cette guerre pour la Patrie.

102 noms sur le bas-relief, 104 sur le monument aux morts, 99 sur la plaque commémorative située dans l’église : en fait les différences s’expliquent car ces ouvrages n’ont pas été réalisés à la même époque. Des décès sont intervenus entre temps, des familles ont fait rapatrier des corps ou des morts inscrits au lieu de leur domicile ont été transférés par la suite. L’essentiel est qu’ils soient tous cités quelque part.

Sources :
Georges Duby : « L’histoire de la France » pour les parties historiques générales
Extraits du conseil de fabrique
Archives Municipales de Pussay – Registre des délibérations du conseil municipal de Pussay
Archives Départementales de l’Essonne : 3M169 – 2O1080 – 6V18 – 6V19 – 6V3 – 8V5
Archives Départementales des Yvelines : 16M19
Journal « L’Abeille d’Etampes »
Archives privées de Gisèle et Jean-Paul Firon

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


quatre + 6 =